Qu’attendez-vous à Bruxelles ?
La décision d’Elon Musk d’accueillir la dirigeante allemande d’extrême droite Alice Weidel dans un livestream sur X suscite la fureur des dirigeants et parlementaires de l’Union européenne, qui ont exhorté lundi Bruxelles à déployer toute sa puissance juridique pour freiner le magnat de la technologie.
En réponse, la Commission européenne a déclaré que le fondateur de SpaceX et futur membre de l’administration Trump pourrait en effet se retrouver sanctionner dans le cadre du nouveau règlement numérique de l’UE, en fonction d’à quel point le livestream de jeudi est considéré comme favorisant Weidel de manière injuste par rapport à ses rivaux avant les élections allemandes du 23 février.
A travers l’Europe, se lier avec Weidel est considéré comme une provocation, car les membres de son parti populiste et anti-immigration, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), sont accusés depuis des années de blanchiment à la chaux et de banaliser les crimes nazis. L’AfD est actuellement en deuxième position dans les sondages.
Emmanuel Macron a rapidement accusé Musk d’être allé trop loin dans en réclamant son soutien à l’AfD. « Voilà dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire d’un des plus grands réseaux sociaux du monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire et interviendrait directement dans les élections, y compris en Allemagne, qui l’aurait imaginé ? at-il déclaré lors d’un discours à l’Elysée.
La pression est maintenant sur la Commission européenne pour qu’elle réagisse, étant donné qu’elle est chargée de faire appliquer la loi européenne sur les services numériques (Loi sur les services numériques ou DSA), qui encadrent les plateformes de réseaux sociaux, y compris X, et menace d’infliger d’importantes modifications pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial, voire de blocages temporaires, en cas d’infraction.
Le principal problème auquel Musk serait confronté sur le plan juridique dans le cadre du DSA ne concerne pas tant le contenu, mais à quel point l’exposition sur une plateforme aussi importante que X donnerait à l’AfD un avantage public déloyal par rapport à ses rivaux avant un vote.
Thierry Breton, ancien commissaire européen chargé de l’application de la législation numérique, a souligné samedi que Weidel bénéficierait d’un « avantage significatif et précieux » par rapport à ses concurrents et a rappelé à Musk qu’il devait respecter les obligations qui lui incombant en vertu du droit de l’UE sur les réseaux sociaux.
L’eurodéputé allemande des Verts Alexandra Geese a défini le problème comme suit : « Elon Musk qui discute avec Alice Weidel, leader de l’AfD, sur X est couvert par la liberté d’expression. Sa manipulation algorithmique, (qui) inonde intentionnellement les délais allemandes de X avec de la propagande d’extrême droite et noie les contenus progressistes, ne l’est pas.
Interrogé sur le fait de savoir si Musk pouvait indûment pousser le programme politique de Weidel avec le livestream de jeudi, le porte-parole de la Commission, Thomas Regnier, a répondu qu’il existait une responsabilité particulière pour les très grandes plateformes en ce qui concerne la présentation des contenus qui comportent des « risques pour les processus électoraux ».
« ‘A quel point est-il ou aura-t-il été poussé ?’ C’est ce que la Commission regardera», at-il déclaré, notant que Bruxelles avait déjà étudié la conformité de X avec le DSA depuis plus d’un an.
Thomas Regnier a ajouté que la Commission, les régulateurs allemands et X se réuniraient le 24 janvier afin de discuter des risques liés aux élections de février.
Bruxelles a déjà eu son lot de démêlés avec Musk. Thierry Breton lui-même a notoirement reçu un mème du milliardaire l’enjoignant à «baise ton propre visage».
Poursuivre une action en justice contre un grand magnat de la tech serait déjà délicate, mais les ennuis ne s’arrêtent pas là pour l’UE puisque, dans trois jours, Musk fera partie de l’administration américaine en tant que chef du ministère de l’Efficacité gouvernementale.
« Musk doit être considéré comme le représentant du président américain lorsqu’il parie contre les dirigeants des principales nations européennes, jusqu’à présent des alliés », a écrit Marietje Schaake, ancienne membre du Parlement européen et membre de l’université de Stanford, dans un e-mail.
Simplement, en menaçant de procéder à des enquêtes ou même d’infliger une amende, l’UE risque maintenant une confrontation majeure avec l’administration de Washington.
« Que la Commission européenne choisisse d’agir dépendra d’une combinaison de preuves techniques et de volonté politique », indique Félix Kartte, chercheur principal à la fondation allemande Mercator. « La question est essentiellement de savoir si les dirigeants de l’UE sont prêts à choisir la confrontation avec l’administration Trump avant qu’elle ne soit effectivement entrée en fonction. »
En dépit de la dimension politique, Kartte estime qu’il existe un cas de figure dans lequel Musk devrait répondre de ses actes.
« Si l’importance amplifiée de Musk génère des risques publics, tels que l’amplification de discours haineux illégaux ou l’affaiblissement du pluralisme des médias, les régulateurs pourraient affirmer que X manque à ses obligations d’absorption des risques dans le cadre du DSA », expose-t-il.
Au Parlement européen, certaines font également pression sur Bruxelles pour qu’il vérifie si les actions de Musk sont légales au regard du DSA.
Dans une question adressée au commissaire européen chargé de la tech, Henna Virkkunen, l’eurodéputé allemand Damian Boeselager a fait partie de son inquiétude au sujet de l’utilisation possible par Musk d’un multiplicateur pour son contenu, ce qui signifierait « qu’il ‘il a sapé la neutralité de l’algorithme au profit de son propre atteindre (nombre de personnes qui ont vu une publication postée sur un réseau social, NDLR) ».
«Ce que j’essaie de découvrir, c’est si Musk utilise une grande plateforme d’information qui lui appartient d’une manière qui pourrait diminuer la liberté d’expression des autres, en codant en dur un multiplicateur pour son propre atteindre», at-il clarifié dans des remarques partagées avec L’Observatoire de l’Europe.
D’autres parlementaires ont fait partie de leurs inquiétudes quant à l’utilisation par Musk de X pour accroître sa propre visibilité, demandant à Bruxelles d’enquêter.
Faire appliquer le DSA entrant désormais à Henna Virkkunen, qui a réussi à Thierry Breton après sa démission en septembre. Breton s’était heurté au refus de ses collègues de l’exécutif européen après avoir prévu une lettre à Musk pour l’avertir des conséquences potentielles de la promotion de certains partis ou personnalités.
Breton a peut-être quitté Bruxelles, mais il n’est pas resté silencieux au sujet de Musk.
Au contraire, il a une nouvelle fois mis en garde Weidel et Musk contre leur livestream à venir, exhortant sa plateforme à « respecter pleinement toutes ses obligations en vertu de notre droit de l’UE ».