PARIS — « Pour réussir, il faut tutoyer le ridicule, mais il ne faut jamais tomber dedans. » Louis Sarkozy a 22 ans, en 2019, lorsque son ancien président de père, Nicolas, lui prodigue ce conseil. Alors étudiant en histoire et en philosophie à l’Université de New York, le jeune homme s’apprête à faire le tour des plateaux de télévision et de radio à Paris au côté de sa mère, Cécilia Attias, avec qui il a coécrit un livre. intitulé Une envie de désaccord(s) (Plon).
A l’époque, celui qu’on avait quitté poupin sur les marches du perron de l’Elysée, et dont on découvre le crâne rasé de près et le physique élancé, assure ne nourrir aucune ambition politique. Mais il se permet déjà, au micro de Léa Salamé, de lancer un audacieux « Mais on s’en réparle en 2035 ! ». Sa mère, entourée avec lui sur France Inter, dit « sentir » qu’il embrassera cette carrière, avant de tenter cette prophétie : « Il sera l’homme politique de demain ».
Cinq ans plus tard, samedi 14 décembre, Louis Sarkozy, dont la barbe est encore un peu plus fourni — façon gentilhomme du 19e siècle —, sera l’invité d’honneur de la « soirée de Noël » des Jeunes Républicains, organisée chez O ‘Sullivans, un pub de la place de la Bastille. Il s’y rend à l’invitation de l’ancienne candidate aux législatives Emmanuelle Brisson, fille du sénateur LR Max Brisson, qu’il connaît de longue date et qui s’est chargée de communiquer à grand renfort de tweets et de messages LinkedIn sur l’événement.
La réunion publique est annoncée comme rien de moins qu’un « acte de rupture avec un système figé, une invitation à penser différemment ». Bigre.
Depuis sa tournée promotionnelle de 2019, le jeune homme a connu quelques « erreurs » entre les deux côtés de l’Atlantique, selon le mot d’un membre de la famille. Mais il est rentré en France pour de bon, après une quinzaine d’années passées aux Etats-Unis, où il est arrivé à l’âge de 10 ans, dans les remous du divorce ultra-médiatisé de ses parents et de l’accession. de son père à l’Elysée. Et il semble cette fois décidé d’investir la scène médiatico-politique française. Il songe même désormais à trouver un atterrissage électoral, bien qu’il n’en fasse pas la publicité, à apprendre L’Observatoire de l’Europe.
Ainsi le voit-on régulièrement commenter l’actualité américaine sur LCI, depuis qu’il ya fait une première apparition en avril, invité par Darius Rochebin, l’un des présentateurs vedettes de la chaîne, avec qui il est entré en contact à la faveur de leur fascination commune pour Chateaubriand (Louis Sarkozy récite des passages des Mémoires d’outre-tombe à volonté).
Sa présence à la télévision fait grimper des dents la communauté des universitaires experts du sujet, où l’on questionne volontiers la légitimité de celui qui a Martin Bouygues, actionnaire principal du groupe TF1, pour parrain de baptême.
Pas de quoi le faire douter : « J’en ai rien à foutre », balance le « fils de » en privé, à l’évidence chiffonné par ces critiques. Il n’aurait d’ailleurs, rapportant ses proches, « renoué » avec le grand patron qu’après sa première intervention sur la chaîne info ; Les relations entre Martin Bouygues et Nicolas Sarkozy s’étaient largement distendues depuis 2007.
N’empêche : quand il défraye la chronique en balançant en direct, le 29 septembre, à propos des attaques d’Israël contre le Hamas et le Hezbollah, « qu’ils crèvent tous ! Israël fait le travail de l’humanité ici », il passe un coup de téléphone à son parrain dans la foulée pour s’excuser. Non pas qu’il regrette son propos, non, aucunement. Mais plutôt parce qu’il veut s’assurer que Martin Bouygues sait qu’il n’a pas voulu nuire à l’image de la chaîne.
Il faut croire que ses passages sur leur petit succès : il a signé un contrat d’exclusivité avec LCI au mois de septembre, a appris L’Observatoire de l’Europe.
Après la réélection de Donald Trump, début novembre, il assume sans complexe à l’antenne son admiration pour la stratégie politique qu’est le président élu américain. Une chose l’a particulièrement épaté : le candidat Républicain est arrivé en tête des votes chez les Latino-Américains, notamment, alors que les Démocrates pensaient naturellement les minorités acquises à leur cause. C’est, pour le jeune homme, la preuve que Trump a su parler « de l’Amérique aux Américains », comme le dit aussi Nicolas Sarkozy.
Et il n’hésite pas à en tirer des leçons pour la droite française : « Si Donald Trump parvient à séduire des électeurs latinos, noirs et féminins, nous devrions aussi courtiser nos concitoyens issus de l’immigration (…). Le vote musulman, en particulier, offre une opportunité, car cette population est souvent plus conservatrice et en désaccord avec le wokisme sexuel de la gauche», écrit-il un peu plus tard sur un site d’info belge qui vient d’en faire. son chroniqueur vedette.
Ce sont ces écrits qui attirent l’attention d’un conseiller du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et lui vaudront une invitation Place Beauvau. Cela tombe bien, Louis Sarkozy tâche de se faire un prénom dans le milieu politique, et il admire la « religion de l’action » du Vendéen.
Le 20 novembre, il le rencontre ainsi que des membres de son cabinet. Le ministre lui offre pour l’occasion une visite des appartements privés du ministère, où il a vécu petit et dont il garde un souvenir ému.
Retailleau était pourtant loin d’être un proche de son père, les deux hommes ayant des tempéraments diamétralement opposés. Mais l’arrivée du premier Place Beauvau les a rapprochés, et le fils de l’ancien président, qui encourage l’ancien premier lieutenant de François Fillon à prendre la tête des Républicains lorsque viendra le temps du congrès du parti, joue désormais les agents traitants entre les deux.
Le jeune homme, qui n’a pas de mots assez durs quand il parle du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, et qui se moque volontiers de la ringardise d’Eric Zemmour quand celui-ci part en croisade contre les prénoms pas assez français à son goût, croit dur comme fer que seule la politique du résultat prônée par Retailleau en matière migratoire pourra permettre le retour de la droite au pouvoir. Il s’ébaubit d’ailleurs de la côte d’avenir du ministre, qui a grimpé en flèche en quelques semaines depuis sa nomination.
Et s’il assume lui-même une ligne dure sur le sujet, il est aussi coutumier de saillies plus inattendues qui ne sont pas sans rappeler le goût de la provocation de son père : « Il faut que Mohamed devienne un prénom français. Si dans quatre siècles les Français ont tous la couleur de mon café, je m’en fous. S’ils boivent du vin et payent leurs impôts, on aura réussi », l’a-t-on par exemple entendu dire.
Tout, chez lui, à part son mètre 90, ses pommettes hautes et ses tatouages aux biceps, rappelle son père, jusqu’à ses mouvements d’épaule. Même s’il « a grandi beaucoup sans lui. Il a une autre géographie», comme le pointe l’un de ses interlocuteurs récents.
Parmi les ténors des Républicains, Retailleau n’est pas le seul à avoir les faveurs de Louis Sarkozy. Il vante volontiers les mérites du libéral cannois David Lisnard ou de l’eurodéputé François-Xavier Bellamy.
Mais il ne néglige pas la Macronie : le ministre des Armées Sébastien Lecornu, un ancien des Républicains ayant rejoint Renaissance dès 2017, a également reçu l’ancien élève d’une école militaire américaine à son ministère. Non pas qu’il mise beaucoup sur l’avenir du macronisme, non : « (Eric) Ciotti n’a rien compris. On investit dans une boîte quand le truc s’effondre», sourit-il en privé.
Le jeune Sarkozy s’applique également à tisser sa toile auprès de l’intelligentsia conservatrice parisienne. Sa toute première tribune, il la doit au Figaro et au rédacteur en chef du service débats du quotidien, le trentenaire souverainiste Alexandre Devecchio. Il adore aussi l’humour, « la gueule et la répartie » du médiatique avocat Charles Consigny, et aime le talent de l’essayiste Eugénie Bastié — « une machine », dit-il.
Le livre qu’il a consacré aux conférences de Napoléon, pour lesquelles il se passionne, sera publié dans sa version française en avril chez Passés Composés, la maison d’édition d’Arthur Chevallier, lui-même auteur et spécialiste de l’empereur , commentateur de l’actualité squattant le plateau de C Ce Soir, sur France 5. Précédemment, le jeune homme officiait aux éditions du Cerf, dirigées par l’historien spécialiste des religions Jean-François Colosimo dont la fille est Anastasia, chargée de la communication internationale d’Emmanuel Macron. Elle a travaillé auparavant auprès du beau-père de Louis Sarkozy, l’homme d’affaires Richard Attias, à New York. C’est elle qui lui a présenté Chevallier.
Quand la jeune femme a fait l’objet, il y a dix jours, d’une enquête assassine du Nouvel Obs sur ses méthodes brutales et son langage parfois ordurier, Louis Sarkozy n’en a ressenti que plus d’affection pour elle, s’ esclaffant à propos de la « myopie presse de gauche qui veut la détruire et qui en fait une icône ».
Ceux qui le connaissent le devinent : à cette scène médiatique et intellectuelle conservatrice vivace, il faudrait, songe-t-il, trouver un jour un débouché politique. Mais surtout, un chef.