Dans l'Oise, un discret composant toxique de l'hydrogène vert inquiète

Martin Goujon

Dans l’Oise, un discret composant toxique de l’hydrogène vert inquiète

Cet été, les habitants de la ville de Villers-Saint-Paul, dans l’Oise, ont reçu un avertissement inquiétant : ne mangez pas les œufs pondus par vos poules.

Des tests ont révélé que ces œufs contiennent un cocktail de PFAS — ou « polluants éternels » — potentiellement dangereux. Les PFAS, des composants perfluoroalkylées ou polyfluoroalkylées, sont un groupe de substances fabriquées par l’homme qui ne se dissolvent pas et peuvent causer de graves problèmes de santé, notamment des cancers, des lésions hépatiques et des problèmes de fertilité.

Comment ces produits chimiques toxiques se sont-ils retrouvés dans les œufs ? La réponse n’est pas tout à fait claire, mais les soupçons se sont portés sur une usine voisine, appartenant à Chemours, le géant américain de la chimie, qui produit des PFAS.

Ironiquement, c’est Chemours elle-même qui a effectué les tests dans le cadre d’un accord avec les autorités régionales.

A l’époque, l’entreprise fait tout pour garder la confiance de la population locale : elle prévoit de s’agrandir pour produire des produits chimiques à base de PFAS essentiels à la fabrication de l’hydrogène vert, un carburant au cœur des ambitions de décarbonation de l’Europe. Le projet industriel est évalué à 186 millions d’euros.

« Lorsque nous avons appris que d’énormes investissements allaient être réalisés (dans l’usine locale), tout le monde a pensé que c’était une très bonne nouvelle », a expliqué à L’Observatoire de l’Europe Alexandre Ouizille, maire adjoint de la ville et sénateur. socialiste, en évoquant la création d’emplois et les avantages pour le climat.

Mais après que des articles de presse ont révélé « l’éternelle pollution par les PFAS », l’ambiance a changé, selon lui. Les résultats des tests sur les œufs ne sont pas les seuls en cause : dès 2023, une enquête du Monde avait révélé une pollution aux PFAS dans la région.

Cela a incité à l’époque le maire de Villers-Saint-Paul, Gérard Weyn, à demander l’avis du ministère de la Transition écologique.

« Avant que la commune ne s’engage plus avant dans ce projet, vos réponses à ces différentes questions de précautions sont indispensables pour dissiper les doutes sur l’innocuité de l’installation actuelle et du projet d’extension », at-il écrit dans une lettre consultée par L’Observatoire de l’Europe.

La direction régionale de l’environnement affirme ne pas savoir si la pollution provient de l’usine Chemours. Elles soulignent que certains types de produits chimiques PFAS présents dans les œufs — y compris ceux dont la concentration est la plus élevée — ne correspondant pas à l’activité de l’usine, alors que d’autres le sont. Des tests supplémentaires seront effectués afin de « fiabiliser les conclusions ».

Cela n’a pas pour autant rassuré les responsables politiques locaux, qui craignent que l’augmentation de la production de PFAS ne fasse qu’augmenter le risque de pollution.

Au cœur de ce différend, une tension mondiale : alors que les pays s’empressent de développer de nouvelles technologies pour tenter d’enrayer le changement climatique, nombre de celles-ci s’avèrent avoir des effets secondaires imprévus qui pèsent eux-mêmes de de graves risques, dont certains, comme les PFAS, commencent à peine à être compris par la science.

« Vous avez deux grands sujets environnementaux en jeu, a encore déclaré Alexandre Ouizille, l’adjoint au maire. Il y a la décarbonation et la question des PFAS. C’est vraiment difficile.

Les PFAS sont notamment utilisés dans la production de pompes à chaleur, de batteries, de panneaux solaires et d’éoliennes. Autant de technologies cruciales pour la stratégie de neutralité carbone de l’Union européenne.

L’usine Chemours de Villers-Saint-Paul produit déjà des produits chimiques pour des mousses anti-incendie ou des revêtements antitaches pour les textiles et les matériaux de construction. Les nouveaux investissements de l’entreprise visent à augmenter la production de Nafion, un produit chimique qui aide à séparer l’hydrogène et l’oxygène pur dans l’eau, grâce au processus d’électrolyse.

L’hydrogène est un gaz à combustion propre qui pourrait contribuer à résoudre certains problèmes de décarbonatation des plus épineux, qu’il s’agisse de la fabrication de l’acier et du plastique, ou de l’élaboration du carburant pour le transport maritime. et l’aviation. Des restrictions sur les polluants éternels pourraient avoir des « conséquences catastrophiques » pour la production d’hydrogène et, par extension, pour la transition écologique, mettre en garde les industriels.

Le changement climatique s’accompagne bien entendu de ses propres effets sur la santé, qu’il s’agisse des décès dus aux catastrophes naturelles et aux chaleurs extrêmes, de l’augmentation des maladies infectieuses ou des bactéries résistances aux médicaments qui émergent de la fonte du pergélisol.

« Nous, vous, tout le monde, nous voyons les impacts du changement climatique. Ils sont imminents et nous ne pouvons pas attendre des décennies pour pouvoir agir sur le climat », expose Daria Nochevnik, directrice des affaires publiques et des partenariats au sein du conseil de l’hydrogène, qui rassemble les industriels du secteur. «Nous devons travailler avec les solutions dont nous disposons actuellement.»

Mais les décideurs politiques prennent de plus en plus conscience des effets parallèles de la pollution par les PFAS. Ces substances chimiques cancérigènes ont été trouvées dans toute sorte de choses, du lait maternel aux testicules. Une étude américaine soutenue par l’Agence américaine de protection de l’environnement a établi un lien entre une substance que les chercheurs appellent « Nafion BP2 » ou « acide hydro-PS » et la influence sur le développement et les effets auto-immuns chez les rats.

«Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les effets de cette étude ont été observés à des niveaux très élevés d’exposition», a déclaré Chemours dans un communiqué envoyé par courrier électronique.

Alors que l’acide hydro-PS n’est « pas émis par le site de Villers-Saint-Paul aujourd’hui », l’entreprise promet que les nouvelles installations fabriquant de Nafion « comprendront des investissements supplémentaires dans des installations de contrôle des émissions à la pointe de la technologie avec une efficacité de destruction supérieure à 99,9% ».

Les inquiétudes soulevées par les PFAS ont conduit l’Union européenne à s’efforcer d’éliminer progressivement ces substances chimiques dans toute une série de secteurs sur lesquels elle compte pour assurer la transition écologique, notamment celui de l’hydrogène. Mais les représentants de l’industrie estiment que Bruxelles se coupe l’herbe sous le pied en risquant de ralentir la transition vers l’énergie propre. De puissants décideurs politiques se font l’écho de ces préoccupations, notamment l’ancien premier ministre italien et ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, dans le rapport rétentant qu’il a publié le mois dernier.

Dans le cadre de la proposition de l’UE visant à éliminer progressivement ces produits chimiques, le secteur de l’hydrogène s’est vu accorder douze ans pour trouver des alternatives plus sûres. Bien qu’il y ait « très peu » d’alternatives non-PFAS aux produits chimiques comme le nafion sur le marché, l’exemption proposée est un « délai raisonnable » pour trouver et tester de nouvelles substances, soutient Jonatan Kleimark de l’ ONG ChemSec, spécialisée dans la politique des produits chimiques, d’autant plus qu’il faudra encore plusieurs années avant que la proposition de l’UE ne devienne une loi.

Certaines alternatives au Nafion pourraient même être plus efficaces, explique Carolin Klose, une chercheuse de l’institut Hahn-Schickard qui travaille au développement de telles alternatives. Mais le passage à une production à grande échelle pourrait prendre beaucoup de temps.

A Villers-Saint-Paul, le projet de Chemours est maintenu, mais sous certaines conditions, qui ont fait l’objet d’un accord avec la commune : l’industriel doit effectuer un contrôle quotidien de la sécurité chimique et partager les résultats avec la direction régionale de l’environnement.

«Des investissements importants ont été réalisés pour mettre en place des technologies de réduction des émissions qui sont parmi les plus efficaces pour traiter les rejets», a déclaré Chemours. « Nous nous sommes engagés à réduire les émissions de produits chimiques organiques fluorés dans l’air et dans l’eau de 99 % ou plus d’ici 2030. »

Tout en reconnaissant la coopération du fabricant, l’adjoint au maire Alexandre Ouizille continue à plaider en faveur d’industries exemptées de PFAS.

« Je dirais que, dans la mesure du possible, (ces industries) doivent travailler sur des solutions exemptes de PFAS. La santé des populations locales est en jeu. »

Cet article a d’abord été publié par L’Observatoire de l’Europe en anglais et a été édité en français par Alexandre Léchenet.

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