Le Musée d’Art Interdit de Barcelone organise un débat qui vise à examiner les racines du graffiti et son cheminement pour être désormais largement salué comme l’une des formes d’art les plus importantes au monde.
On dit que le graffiti est le plus grand mouvement artistique depuis la Renaissance.
La plupart des enfants connaissent les œuvres de Banksy, mais connaîtront-ils aussi bien les chefs-d’œuvre du Caravage ?
Jeunes ou moins jeunes ont peut-être essayé de pulvériser un mur avec un pistolet à peinture, mais sont-ils si désireux de sortir la peinture et le chevalet ?
C’est peut-être le fait que les graffitis soient interdits dans de nombreux endroits qui ajoutent à son attrait, en particulier auprès des jeunes.
Aujourd’hui, l’artiste canadien Louis Pierre Boivin a mis en évidence comment l’influence du graffiti a pénétré le monde de l’art de manière subtile mais influente.
Baptisant ce «trasgraffiti», Boivin dit qu’il est distinct de l’énorme impact que des artistes comme Banksy ont eu sur le paysage culturel. Au lieu de cela, ce qu’il tient à souligner, c’est la manière dont les techniques du graffiti sont désormais utilisées dans d’autres méthodes artistiques et au-delà.
« C’est l’intégration du graffiti dans les pratiques artistiques contemporaines d’une manière très subtile. C’est différent de l’art urbain », dit-il.
« L’art urbain, comme les œuvres de Banksy ou d’autres artistes, consisterait à peindre quelque chose sur un mur puis à faire quelque chose qui est exactement la même chose dans une galerie. »
Boivin, 40 ans, originaire du Québec au Canada mais résidant à Barcelone, participera à un débat sur le trasgraffiti au Museu Art Prohibit de Barcelone le 30 octobre pour discuter de ce nouveau concept avec des artistes du monde entier.
Parmi les autres artistes présents figurent l’Espagnol Martí Sawe, l’Allemand Alsino Skowronnek, l’artiste français Bertrand Main et Marc Mascort Boix, commissaire culturel espagnol.
Contrecoup de l’art urbain
Banksy est peut-être le graffeur le plus célèbre au monde. Son identité reste un mystère mais ses œuvres rapportent des millions aux enchères et il a popularisé le monde de l’art urbain tel qu’il est aujourd’hui.
Cependant, Boivin estime qu’une attitude négative envers l’art urbain persiste.
« Il y a une réaction contre l’art urbain qui est considéré comme une sorte d’art de classe inférieure », dit-il.
« Le trasgraffiti est une utilisation plus subtile des pratiques du graffiti dans l’art. Les artistes peuvent utiliser des étiquettes ou des œuvres qui semblent avoir été réalisées avec de la peinture en aérosol. Cela prouve que le graffiti a un impact vraiment énorme sur le monde en général mais surtout sur le monde de l’art.
« L’origine du trasgraffiti est une sous-culture avec des valeurs différentes. Petit à petit, les gens intègrent des aspects du graffiti dans leur art. Cela dure depuis des lustres, mais aujourd’hui, dans l’art, beaucoup de choses proviennent du graffiti.
« Ce qui est important, c’est de valoriser l’impact. Le graffiti a eu beaucoup d’impact dans le monde de la mode, de l’art et du design. Cela fait partie du paysage de la ville.
Il estime que la manière dont les graffitis sont perçus dans les villes et les pays en dit long sur la vie culturelle des zones métropolitaines.
« Barcelone a des touristes graffeurs et des gens qui viennent les voir faire des graffitis », a-t-il ajouté, affirmant que cela prouve que la ville espagnole a une vie culturelle dynamique.
« C’est dynamique depuis les années 1990. Il y a beaucoup de street art. Des musées comme le Moco présentent des graffitis.
Picasso, Miro et Dalí, qui ont tous vécu à Barcelone, ont laissé à la ville un héritage artistique.
Boivin, qui a inventé le mot trasgraffiti, a déclaré qu’il venait en partie du mot espagnol tras signifiant à travers. Cela signifie donc « l’art à travers le graffiti ».
Il cite l’exemple de Jason Revok, un artiste américain qui utilise dans ses créations des symboles du graffiti des années 1970, et pulvérise de la peinture dans un art minimaliste pour donner l’impression d’un graffiti.
L’anthropologue et auteur britannique Rafael Schacter a récemment évoqué l’impact du graffiti, le qualifiant d’art éphémère. Dans une chronique pour The Guardian, il s’est demandé pourquoi seules les images ayant une valeur financière – œuvres d’art ou publicités – sont considérées comme un élément acceptable de l’apparence des villes.
« Des graffeurs sont toujours emprisonnés au Royaume-Uni pour avoir appliqué des pigments sur une surface (et presque toujours une surface publique plutôt que privée), tandis que des artistes de rue comme Banksy s’en sortent avec les mêmes actes en raison de décisions paroissiales sur ce qui constitue l’art. » Schacter a écrit.
Boivin espère maintenant monter une exposition sur les trasgraffiti au Museum Art Prohibit – un endroit « parfait » car dédié à l’art interdit, ce que sont depuis longtemps les graffitis.
En effet, certains considèrent encore les graffitis comme du simple vandalisme urbain. Pourquoi se soucier de cette forme d’art ?
« Il s’agit de comprendre l’influence que le graffiti a sur notre monde. Il y a des mauvais côtés et des bons côtés. Il est important que les institutions, notamment les municipalités, comprennent son importance dans notre société parce que c’est une culture qui existe depuis cinquante ans et qui ne va pas disparaître », dit Boivin.
L’artiste Marc Mascort Boix estime également que l’étiquetage du trasgraffiti aide davantage de personnes à comprendre son importance.
« Donner un nom à quelque chose aide. Les gens disaient « c’est l’impressionnisme » ou « c’est le cubisme ». Il est nécessaire d’avoir un concept pour pouvoir commencer à faire passer le message », dit-il.
« Lady Pink (une graffeuse de New York) a déclaré que le graffiti était le mouvement artistique le plus important depuis la Renaissance. C’est un mouvement qui implique davantage de personnes en même temps. D’une part, il s’agit de la culture de notre époque. Ma fille connaît Banksy mais elle ne connaît pas le Caravage », poursuit Mascort Boix.
Boivin ajoute : « C’est incroyable le plaisir que procure le graffiti en ramassant la bombe aérosol. C’est une chose tellement directe. Vous ne pouvez pas nier son existence.