Festival d'Avignon : "Nous ne laisserons pas les erreurs politiques ériger des murs entre nous"

Jean Delaunay

Festival d’Avignon : « Nous ne laisserons pas les erreurs politiques ériger des murs entre nous »

Le festival de théâtre français de renommée mondiale s’est achevé cette semaine. L’Observatoire de l’Europe Culture revient sur la 77e édition du festival, plus européen que jamais.

L’un des temps forts du calendrier théâtral européen vient de s’achever. Chaque mois de juillet, les rues de la cité médiévale d’Avignon – dans le sud-est de la France – s’animent avec du théâtre et de la performance.

Mais pour sa 77e édition, le plus vieux festival de France a été relooké.

Le dramaturge et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues devient le premier metteur en scène non français du Festival d’Avignon.

« Je considère le festival comme l’un des ‘cafés lumières’ d’Europe. Je veux qu’il soit un lieu de débat sur l’Europe – pas une Europe égocentrique mais ouverte sur le monde », a-t-il déclaré à L’Observatoire de l’Europe Culture.

Christophe Raynaud de Lage
Tiago Rodrigues dirigera le festival pour un mandat de quatre ans.

Rodrigues a été nommé à la direction du festival – qui a été créé en 1947 – pour un mandat de quatre ans. « Que vous alliez en Patagonie ou à Reykjavik et que vous parliez à un passionné de théâtre, il aura entendu parler du Festival d’Avignon !

L’édition de cette année a présenté 44 pièces et vendu 115 000 billets – avec de nombreux spectacles gratuits qui ont également lieu.

Combattre les « erreurs politiques » en mettant à l’honneur les artistes britanniques

Pour lancer son mandat, Rodrigues a introduit l’idée de mettre en lumière une langue étrangère – qui cette année était l’anglais.

« Nous avons choisi l’anglais pour prendre position contre le Brexit », a déclaré Tiago Rodrigues. « Nous voulons nous connecter avec des artistes britanniques – nous ne laisserons pas les erreurs politiques construire des murs entre nous. »

Les festivaliers ont eu l’occasion de voir des productions traduites ainsi que des performances créées par des artistes britanniques et anglophones. Les œuvres de Tim Crouch, John Collins et Tim Etchells étaient à l’honneur.

L’année prochaine, la langue officielle du festival sera l’espagnol.

« C’est une langue à forte présence mondiale, qui raconte l’histoire de l’Europe, chargée d’une histoire coloniale mais aussi d’une immense richesse patrimoniale », explique Rodrigues.

Attirer un public international

Les trois quarts des artistes qui se produisaient au festival de cette année étaient des nouveaux venus. La troupe catalane Mal Pelo a présenté son spectacle de danse ‘Inventions’ sur la musique de Bach.

Mal Pelo rassemble un panorama international d’artistes, avec des interprètes d’Italie, de Biélorussie, de Hongrie et de Suisse.

Christophe Raynaud de Lage
‘Inventions’ de Mal Pelo, un spectacle de danse et de musique sur des airs de Bach.

« Nous avons commencé à travailler sur cette émission pendant la pandémie », explique Pep Ramis, co-fondateur de Mal Pelo. « L’âme de la pièce est sur le besoin de se rencontrer et de se connecter. Être à Avignon représente une énorme opportunité d’ouvrir notre travail au monde. »

Une autre production européenne qui a brisé le quatrième mur était ‘Paysages partagés’ (‘Paysages partagés’) – qui a emmené le festival hors de la ville. Pendant sept heures, les spectateurs se sont lancés dans un voyage sensoriel à travers les plaines et les forêts de Pujaut, un village voisin.

L’organisateur du festival a décrit la pièce comme « une autre façon de créer de la poésie qui reconnecte l’espèce humaine au monde vivant ».

Christophe Raynaud de Lage
‘Paysages partagés’ emmène son public dans un voyage immersif de sept heures dans la nature.

Malgré la focalisation du festival sur les performances internationales, une grande partie du public reste toujours française. Mais certains touristes européens se sont rendus à Avignon spécialement pour le festival.

« J’ai passé un bon moment ici, il y avait des pièces avec des sous-titres en anglais et quelques pièces en anglais », a déclaré la touriste polonaise Karolina Ladysz à L’Observatoire de l’Europe Culture. « Cependant je suis débutant en français et j’aurais eu un peu de mal si je n’étais pas là avec des français. Mais dans l’ensemble je n’ai pas à me plaindre ! »

D’autres ont préféré s’en tenir à des performances sans discours.

« Nous ne voulons pas voir quelque chose en français mais la musique est universelle – elle n’a pas besoin de sous-titres ! », partage le touriste néerlandais Wyb Wagenaar.

Il reste encore du chemin à parcourir : éradiquer le racisme

L’édition de cette année n’a pas été sans controverses, car une émission a été la cible d’abus physiques et verbaux racistes.

« Carte noire nommée désir », réalisé par Rebecca Chaillon, est un spectacle porté par un casting 100% féminin qui questionne la place de la femme noire dans la société française.

Dans une interview accordée à la radio locale France Bleu Vaucluse, les acteurs ont déclaré avoir été pris pour cible lors de représentations.

Un spectateur aurait pointé son majeur vers le casting lorsque des « violences policières » auraient été évoquées. Dans un autre cas, un membre du public a frappé la main d’une actrice lorsqu’elle a tenté de saisir son sac dans le cadre du spectacle.

Christophe Raynaud de Lage
Jouez ‘Carte noire nommée désir’ de Rebecca Chaillon.

En réponse, Avignon a fermement condamné ces actes, déclarant qu’un tel déferlement de haine était « inacceptable ».

Tiago Rodrigues a également déclaré que « la diversité ethnique ne se trouve pas dans le public si elle ne se trouve pas sur scène. Il faut essayer d’ouvrir la scène, d’assurer une diversité représentative sur scène ».

L’émission a continué de susciter des débats sur les réseaux sociaux, en particulier parmi l’extrême droite. Un compte Twitter appartenant à un militant politique d’extrême droite a tweeté : « Pendant ce temps, la pièce du Festival d’Avignon ‘Carte noire nommée désir présente une production raciste ».

Financer les arts

Le festival – fondé par l’acteur et metteur en scène Jean Vilars en 1947 – s’est efforcé de rendre les arts accessibles. Mais au fil des années, le festival a été diversement décrit comme « élitiste ».

Une chronique récente du journal français L’Obs affirmait que « la programmation du nouveau directeur du festival, Tiago Rodrigues, est tout aussi élitiste que celle de son prédécesseur. Parmi une foule de spectacles prétentieux, snobs et même creux. »

En 2011, le célèbre acteur français Fabrice Luchini avait critiqué le festival pour son accent mis sur les œuvres expérimentales : « J’ai l’impression que (le festival) est devenu le foyer d’une secte qui rejette les grandes œuvres (de théâtre) ».

Christophe Raynaud de Lage
Une performance en plein air au Palais des Papes d’Avignon.

Le Festival d’Avignon a également été critiqué pour son processus rigoureux de sélection des spectacles. Une fois sélectionnées, les productions sont financées par le budget de 17 millions d’euros du festival – généré par des subventions publiques et complété par du mécénat.

Soucieux de démocratiser le théâtre, le festival de théâtre alternatif OFF est créé en 1996 – le Festival d’Avignon officiel étant labellisé ON. Le OFF alternatif se déroule en juillet à Avignon mais n’a pas de directeur artistique, opérant une politique de sélection beaucoup moins stricte pour les pièces.

Cela a cependant un inconvénient, car les productions doivent s’autofinancer.

« Être au festival OFF représente un coût important pour les productions. Nous devons embaucher quelque part pour jouer, quelqu’un pour vivre et payer nos salaires », explique Raphaël Callandreau, acteur du festival OFF, à L’Observatoire de l’Europe Culture.

« Pour un spectacle joué à deux, le coût est d’environ 30 000 € sur le mois – c’est pourquoi il est indispensable que nous sortions dans la rue pour distribuer des flyers pour notre spectacle », a-t-il ajouté.

Avignon 2024 : les défis olympiques

L’édition de l’année prochaine aura lieu une semaine plus tôt que d’habitude en raison des JO de Paris 2024.

Le festival se déroulera du 29 juin au 21 juillet, un défi auquel les organisateurs ont déjà commencé à se préparer pour éviter les pénuries de personnel. Le festival emploie plus de 700 membres du personnel pendant toute la durée du festival.

Mais une mission reste la même. « Pour surprendre le public ! » assure le directeur du festival Tiago Rodrigues.

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