PARIS — Le secteur de l’atome retient son souffle.
Annoncée, la relance du nucléaire n’est pas gravée dans le marbre. La filière, inquiète de l’instabilité politique, attend fébrilement des prises de décisions importantes.
La dissolution, puis l’effondrement de l’ex-majorité présidentielle aux élections législatives ont redistribué les cartes. La percée de la gauche et le maintien d’un gouvernement démissionnaire depuis plus d’un mois attisent les craintes d’un retard au sein du secteur.
La relance de l’atome ne fait pas consensus au sein du Nouveau Front populaire : les Insoumis et les Ecologistes s’y opposent, les communistes y sont favorables et les socialistes se cherchent encore. Quant à Lucie Castets, leur candidate pour Matignon, elle n’a « pas de convictions toutes faites sur le nucléaire », assurait-elle à BFMTV fin juillet.
Après des années d’activité restreinte par l’absence de commandes, la filière s’est pourtant remise en ordre de marche : elle a engagé du personnel, lancé des achats de composants des futurs réacteurs, et donné les premiers coups de pelle sur le site de Penly, en Seine-Maritime.
Et ce, alors que les projets ne sont pas encore finalisés dans les détails — même si EDF a annoncé fin juillet avoir validé les plans génériques des réacteurs, avec plusieurs mois de retard.
Certaines décisions majeures, à commencer par la commande ferme des nouveaux EPR, ont seulement fait l’objet d’annonces politiques, soit du président de la République lui-même ou du conseil de politique nucléaire (CPN), et attendent toujours d’être. inscrits dans la loi.
Le CPN est un petit comité piloté par l’Elysée, au format extrêmement restreint, où se prend toutes les grandes décisions en lien avec l’atome civil. Celles-ci n’ayant aucun poids juridique, elles doivent être traduites législativement ou par voie réglementaire.
Avant le 7 juillet, c’était souvent une formalité — même si la loi sur la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire a connu quelques heurts. Mais, avec un gouvernement affaibli et limité à la gestion des affaires courantes, c’est désormais loin d’être évident.
«On est dans les cinq ou six mois où tout se joue», prévient Antoine Armand, député macroniste spécialiste du sujet, élu récemment président de la commission des Affaires économiques. «Trois mois de retard au moment clé, ça peut impliquer beaucoup plus à la fin des travaux.»
«On est un peu dans l’expectative. On ne peut pas se permettre d’avoir deux ans de flottement” d’ici à la prochaine élection présidentielle, s’inquiète un lobbyiste du nucléaire, craignant qu’aucune décision ne soit prise dans l’intervalle.
Plusieurs choix essentiels doivent pourtant être faits dans les mois à venir, à commencer par la commande des nouveaux EPR par l’Etat, le mode de financement — qui ne pourra se faire sans une contribution publique —, ainsi que le prolongement de l’usine. de traitement des déchets radioactifs de La Hague, qui nécessite des investissements colossaux.
Luc Rémont, le PDG d’EDF, a invité cet été l’Etat à agir le financement de ces réacteurs « à l’horizon de l’automne » afin que le groupe, qui fait face à d’importantes difficultés financières, puisse défendre le projet devant la Commission européenne l’an prochain.
La décision finale d’investissement — qui marque le point de non-retour dans le programme industriel des EPR — aurait lieu « plutôt fin 2025, début 2026 », selon le dirigeant.
Les discussions avec l’exécutif bruxellois, qui encadre strictement les aides d’Etat aux entreprises dans l’Union européenne, seront cruciales, a prévenu le délégué interministériel au nouveau nucléaire, Joël Barre, dans les colonnes du Monde. «Je ne vois aucune raison d’être particulièrement inquiet sur l’avenir du programme», ajoutait le même, histoire de rassurer les acteurs.
Bien que le Nouveau Front populaire soit arrivé en tête aux législatifs, l’atome peut compter sur une majorité solide à l’Assemblée : les communistes, le camp présidentiel, la Droite républicaine et le Rassemblement national lui sont favorables.
La relance du nucléaire figure également en bonne place dans la stratégie nationale énergie-climat envoyée par le gouvernement français à la Commission européenne au début du mois de juillet.
Ces signaux demeurent cependant insuffisants pour apaiser les angoisses d’un secteur très lié à l’Etat, et meurtri par trois décennies où il a davantage été question de fermer des centrales que d’en ouvrir, et encore traumatisé par l’arrêt définitif de Fessenheim.
Une chose est sûre : la filière et ses soutiens s’accordent sur la nécessité d’une nouvelle loi de programmation, espérée pour la fin de l’année. Reste à savoir ce qu’elle contiendra.