Bien que la prolifération de méduses puisse être problématique, les chercheurs pensent qu’une utilisation durable de ce plancton gélatineux peut être trouvée.
Kerteminde est une charmante ville portuaire du centre du Danemark avec un magnifique fjord entouré de champs, de collines et de forêts.
C’est un refuge pour la faune marine, mais les scientifiques de l’Université du Danemark du Sud (SDU) sont intrigués par une espèce mystérieuse : les méduses.
L’espèce est en plein essor juste sous la surface de l’eau, là où ce groupe de scientifiques se jette. Lors de leur plongée en apnée, ils observent les méduses et collectent des échantillons.
Ces méduses ne sont pas très avares, mais leur biomasse ici est si dense qu’elle nuit à d’autres espèces.
Floraison massive de méduses
Partout dans le monde, les méduses piquent les touristes, obstruent les filets de pêche et bloquent les conduites d’eau.
On craint même qu’ils remplacent toutes les autres espèces marines.
Mais Jamileh Javidpour, qui étudie les méduses depuis plus de 20 ans, affirme que nous n’en savons pas encore assez pour faire de telles prédictions.
« Des scénarios apocalyptiques de prolifération de méduses existent, et certaines histoires sont en partie vraies, car la présence de méduses pourrait affecter l’ensemble de l’écosystème », explique Jamileh Javidpour, professeur associé à la SDU.
« Cependant, les changements dans la population entière nécessitent une sorte de vision holistique : quel est l’effet des autres populations connectées à cet acteur de la chaîne alimentaire ? Nous avons donc besoin d’une sorte de vision adaptative de la prolifération des méduses, qui n’existe pas encore. »
De retour sur le bateau, les scientifiques échantillonnent les caractéristiques de l’eau et utilisent une épuisette pour collecter davantage d’échantillons de méduses.
Les chercheurs ont surveillé la température de l’eau, la salinité et d’autres facteurs pour mieux comprendre les causes de la prolifération des méduses.
Prospérer malgré la surpêche
Il semble que les méduses prospèrent grâce à la surpêche, qui élimine leurs prédateurs et concurrents, et au ruissellement agricole qui épuise l’oxygène de l’eau.
Contrairement à d’autres espèces, les méduses ne sont pas gênées par les faibles niveaux d’oxygène.
Bien que la prolifération de méduses puisse être problématique, les chercheurs pensent qu’une utilisation durable de ce plancton gélatineux peut être trouvée.
Les méduses pourraient par exemple constituer une source alternative de collagène pour les cosmétiques. Elles sont également très efficaces pour capturer les particules microplastiques, ce qui peut contribuer à nettoyer les océans.
Jamileh Javidpour a coordonné le projet GoJelly, financé par l’Union européenne. Le projet a mis au point une méthode permettant d’utiliser le mucus des méduses, naturel ou synthétique, pour filtrer les eaux usées avant qu’elles n’atteignent l’océan.
« Ils absorbent les particules très activement, capturent ces particules et les emballent dans un filtre à mucus biologique pour s’en débarrasser », explique Javidpour.
« C’est un modèle que nous pouvons apprendre de la nature pour trouver des solutions naturelles. »
Les utilisations possibles des méduses sont nombreuses
Dans la région des Pouilles, au sud de l’Italie, des chercheurs de l’Institut des sciences de la production alimentaire de Lecce expérimentent la transformation de méduses en engrais pour plantes.
Ils commencent avec des méduses congelées et utilisent le séchage sous vide pour les transformer en poudre blanche.
Outre les sels, cette poudre contient des acides aminés précieux, des minéraux et d’autres nutriments présents dans les méduses qui peuvent être facilement absorbés par les plantes.
Des expériences montrent que les plantes poussent mieux avec des nutriments provenant de méduses qu’avec un substrat contenant uniquement des sels.
Selon Stefania De Domenico, chercheuse en aliments fonctionnels au CNR-ISPA, il existe une nette différence dans la croissance des plantes.
« Celui-ci est plus luxuriant, comparé à l’échantillon témoin, qui a la même concentration de sels, mais les plantes y sont beaucoup plus stressées et donc plus sèches. »
Expériences sur des cellules cancéreuses humaines
Les méduses pourraient même aider à guérir des maladies.
Bien que la recherche en soit encore aux tout premiers stades, des scientifiques ont découvert dans les méduses des composés bioactifs qui peuvent déclencher la mort de cellules cancéreuses du sein dans des conditions expérimentales.
« Les extraits de ces méduses ont une activité antiproliférative sur les cultures de cellules humaines. Nous avons observé qu’ils peuvent réduire la prolifération des cellules cancéreuses tout en n’ayant aucun effet sur les cellules non cancéreuses », explique Antonella Leone, chercheuse senior au CNR-ISPA.
Préparation de la soupe de poisson aux méduses
Et comme les méduses finissent souvent dans les filets de pêche, pourquoi ne pas les manger ? En Asie, c’est une pratique courante.
Ce restaurant de Lecce fait partie d’un projet européen qui explore les méduses comme aliment. Le chef Fabiano Viva estime que les amateurs de fruits de mer apprécieront les méduses cuites au goût marin intense.
« Les méduses sont souvent mal vues car elles peuvent piquer et blesser », explique Fabiano Viva. « Les gens pensent qu’elles peuvent aussi être nocives à manger. Démystifions ce mythe : certaines méduses ne sont pas nocives du tout. En fait, elles sont tout simplement délicieuses ! »
La recette met en vedette des méduses dans une soupe de fruits de mer méditerranéenne traditionnelle, mais les chefs voient de nombreuses autres façons possibles de cuisiner les méduses.
« On peut le couper en tranches et l’ajouter à une salade, par exemple. Avec celui-ci, on peut faire presque tout ce qu’on veut : on peut le mettre dans une soupe, comme on l’a fait aujourd’hui, ou même le rôtir », explique Viva.
Des chercheurs, dirigés par Antonella Leone, ont développé une méthode sûre pour conserver les méduses sans utiliser les sels d’aluminium, courants en Asie, mais considérés comme nocifs en Europe.
Ils proposent plutôt d’utiliser des sels de calcium, qui sont sans danger pour la consommation et préservent mieux la texture des méduses.
Les chercheurs ont collaboré avec des chefs pour créer un livre de recettes à base de méduses. Mais avant que les méduses puissent être servies au public, elles doivent être officiellement approuvées comme aliment.
« Il faut obtenir l’autorisation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour garantir que nous fournissons un produit sûr aux consommateurs. De plus, nous devons étudier attentivement l’ensemble du processus, de la pêche à la préparation, pour garantir qu’il est sûr et durable. »
La durabilité est la clé
Alors que la prolifération de méduses augmente dans des mers comme la Méditerranée, les chercheurs mettent en garde contre la pêche à grande échelle de ces diverses espèces.
Selon le Dr Leone, il existe encore un manque de connaissances sur ces créatures gélatineuses et leurs cycles de vie uniques.
Toutefois, des études et des échantillonnages sont en cours dans les mers du monde entier.
Entre-temps, tous les composés dérivés des méduses utilisés par l’industrie pourraient être synthétisés ou basés sur des méthodes de production durables telles que l’aquaculture de méduses.
Retirer trop de méduses de nos océans avant de les connaître pleinement pourrait mettre leur écosystème sur une pente glissante, causant potentiellement plus de mal que de bien à l’environnement marin.
« J’espère que nous pourrons continuer à étudier ces organismes en profondeur dans leur environnement naturel. S’il existe une possibilité d’utiliser un composé qui pourrait être utile à l’homme, il faut le faire de manière durable », déclare le Dr Leone.
Plusieurs experts s’accordent à dire que la meilleure façon de préserver la vie marine en bonne santé est de s’attaquer aux causes profondes de ses problèmes, comme le changement climatique, la pollution et la surpêche.
Et comme les méduses font partie des écosystèmes marins depuis 500 millions d’années, avec un bon équilibre, elles conserveront la place qui leur revient dans l’harmonie naturelle de nos océans.