À la rencontre de… Renaud Payre
Directeur de Sciences Po Lyon et 3e vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’habitat, du logement social et de la politique de la ville
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Renaud Payre. Je suis universitaire en sciences politiques. Dans ma vie professionnelle, j’ai toujours pris des responsabilités. Dès le début, j’avais participé à toute la structuration à l’université Lumière Lyon 2 de la filière universitaire de science politique, dans les années 2000. J’ai dirigé le laboratoire Triangle [sur l’action, le discours et la pensée politique et économique, ndlr]. Et il y a maintenant cinq ans j’ai pris la direction de Sciences Po Lyon. J’ai ce métier à la fois d’enseignement et de pilotage d’un établissement d’enseignement supérieur.
Crédit photo : Tim Douet
Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, à côté de ce volet de l’enseignement, j’ai ressenti le besoin de m’engager politiquement de manière plus forte. J’ai toujours eu des valeurs de gauche. J’ai eu un engagement qui n’était pas direct avant cet engagement-là. C’était un engagement par affinités, par sympathie, par adhésion de temps en temps à des pétitions ou à autre chose. Cette famille politique est la famille de la gauche.
Il y a donc une dizaine d’années, j’ai voulu m’engager un peu plus fortement, en cocréant des associations qui avaient vocation à se présenter aux élections. Puis j’ai encore franchi une étape en 2020 en me présentant pour la première fois à des élections : les élections métropolitaines. J’ai fait un peu plus que de me présenter puisque j’ai porté les listes de la Gauche unie aux élections métropolitaines de Lyon. J’ai été tête de liste. A l’issue du premier tour, nous avons signé un accord avec Europe-Ecologie-Les Verts qui a permis de coaliser l’ensemble des sensibilités de gauche, si on peut le dire comme cela. Nous l’avons emporté. Et Bruno Bernard, qui était pressenti pour être le président, m’a proposé de jouer un rôle non négligeable dans cet exécutif en devenant troisième vice-président.
Vous êtes 3e vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’habitat, du logement social et de la politique de la ville, en quoi consistent exactement vos missions et quels sont vos projets ?
C’était d’abord l’une de mes demandes. Quand on commence à discuter sérieusement, forcément les uns les autres disent ce sur quoi ils veulent travailler. Il faut savoir que le premier thème de la campagne de la Gauche unie était le logement, parce qu’on est dans une métropole où il est de plus en plus difficile de se loger. Cela a été le thème majeur, avec le thème transports. C’est vrai que j’ai demandé cela. Il n’y a pas eu beaucoup d’hésitation. Cela a été très vite accordé, pour une raison très simple : je crois que le logement est un des thèmes, et probablement le premier d’entre eux, qui permet de tenir ensemble l’exigence de justice sociale et l’exigence de transition écologique. Dans ma délégation, je porte à la fois l’exigence de justice sociale parce que je pense avant tout au logement social et au logement abordable. Les classes populaires n’arrivent plus à se loger, n’arrivent plus à accéder au logement social. C’est dix demandes pour une seule satisfaite dans le parc social. Les classes moyennes, au sens de plus en plus large du terme, n’arrivent plus non plus à se loger dans une partie des quartiers de la métropole. Il n’est pas rare d’entendre dans nos entourages quand une famille s’agrandit, qu’elle sorte de la métropole pour aller se loger : soit accéder à la propriété, voire louer. Donc on est dans des situations de plus en plus délicates.
Il y a cette nécessité de justice sociale, mais il y a aussi le deuxième volet qui est la transition écologique. Ce qui me préoccupe en premier lieu, ce sont bien sûr les passoires énergétiques, l’insalubrité et l’indignité du logement. On lance un grand déploiement d’un programme qui s’appelle Ecoréno’v, qui permet de lutter contre les passoires énergétiques et qui a à la fois une exigence sociale et évidemment une exigence écologique.
Quand vous regardez de près le logement, il tient beaucoup d’éléments de ce qui a fait le socle de notre programme au deuxième tour de l’élection métropolitaine.
J’ai également développé, en lien avec le président et l’ensemble de l’exécutif, un nouveau volet de ma délégation qui est l’accueil et l’hospitalité. Puisqu’il y a aussi dans le logement, l’hébergement d’urgence, premier hébergement, l’idée que c’est par un toit qu’on arrivera à s’intégrer. Cela vaut pour toute la population et pour celles et ceux qui arrivent sur notre territoire. Il faut développer cette vision d’une métropole accueillante et hospitalière. Ce n’est pas seulement une vision, il faut développer des dispositifs. Et on tente depuis le mois de juillet [2020, ndlr] toute une série de choses. On est vraiment dans cette philosophie-là. On explore des solutions qui, jusqu’alors, n’étaient pas trop explorées dans cette métropole.
Voilà pour dire à quel point le fait même que le président Bruno Bernard me propose comme troisième vice-président, au-delà de moi évidemment, est de bien montrer que cette délégation possède un enjeu majeur.
Sur le logement, on est sur quelque chose qui symbolise tout à fait la cohésion de notre majorité et de notre exécutif. C’est aussi une nouvelle vision de la métropole qu’on est en train de produire avec ce qu’on fait aussi avec la politique de la ville.
A quel âge vous êtes-vous engagé en politique, et pourquoi ?
Je suis né à Grenoble, qui était gouverné par un maire qui s’appelait Hubert Dubedout et qui incarnait ce qu’on a appelé pendant longtemps la deuxième gauche, le PSU qui avait été l’issue d’un mouvement citoyen qu’on appelait les GAM – les groupes d’action municipale. Cette gauche, très sensible aux valeurs, à une action en accord avec ses valeurs, est véritablement ma famille politique au sens le plus fort du terme.
J’ai eu tout au long de mes études la possibilité encore de transformer ce qui était une sensibilité en un terrain encore plus fort, d’une certaine manière. Mais je n’ai pas converti cela en un engagement direct. J’en sens l’urgence à plusieurs reprises sans vraiment franchir le cap. 2002 [second tour de l’élection présidentielle entre Jacques Chirac (UMP) et Jean-Marie Le Pen (FN), ndlr], c’est là où je me dis qu’il ne va pas falloir seulement s’intéresser à la politique, mais qu’il faudra s’y engager. Pourtant, je ne le fais pas vraiment en 2002, sauf à manifester. Je le ressens encore plus fortement après le mandat de Nicolas Sarkozy, qui est pour moi un tournant dont on n’a pas encore complètement mesuré les effets. Je crois que c’est vraiment le moment où l’on commence, d’une certaine manière, à discréditer la fonction publique et les services publics, en commençant à introduire une culture de l’argent que ne corrigera pas le quinquennat suivant [celui de François Hollande (PS), ndlr].
Au moment de la victoire de Nicolas Sarkozy, j’adhère très provisoirement au Parti socialiste. Je ne m’y retrouve pas vraiment. C’est plutôt ma famille mais je ne me retrouve pas dans ce parti à ce moment-là.
Et puis après, c’est pour des raisons diverses. Au niveau de ma carrière universitaire, j’ai atteint certains de mes objectifs. Je suis passé professeur des universités en 2009. Là je me dis que j’arrive à une étape, je suis assez jeune à ce moment-là, j’ai 34 ans et j’ai besoin de passer à autre chose. A ce moment-là, on crée avec la maire du 1er arrondissement de Lyon de l’époque, Nathalie Perrin-Gilbert, le GRAM [Groupe de réflexion et d’action métropolitaine, ndlr]. C’est un clin d’œil au GAM grenoblois. C’est la volonté de faire exister cette gauche centrée sur des valeurs fortes. Je préside le GRAM. Je m’investis fortement, sans me présenter, dans l’élection de 2014. Puis les chemins se séparent et je cocrée en 2018 avec de nombreux proches la Manufacture de la cité. D’emblée, elle a la volonté d’être une plateforme d’échange et de rencontre de l’ensemble des forces de gauche et de l’écologie. En 2018, alors que je ne pense pas du tout être candidat, je sais que je veux absolument une liste de gauche. C’est dans l’automne 2019 que je me dis que j’ai bien envie et que je peux peut-être être utile en me portant candidat à la Métropole de Lyon.
Pourquoi avoir choisi de vous engager à gauche ?
J’ai eu la chance, ou pas d’ailleurs mais peu importe, d’avoir des parents qui étaient très éveillés à la politique. Ils étaient socialistes, sans adhérer. Ni l’un ni l’autre n’ont jamais adhéré au Parti socialiste. Je suis né en 1975, j’avais six ans quand François Mitterrand a été élu. Toute mon enfance et mon adolescence ont été marquées par cette figure du président Mitterrand. A la maison, il y avait des discussions qui étaient bien souvent en appui d’une grande partie de ce qui se faisait dans les gouvernements socialistes ou de gauche. J’avais des grands-parents qui étaient de gauche. Et donc il y a d’une certaine manière une tradition familiale.
Ce sont vraiment mes valeurs. Je n’ai aucun doute là-dessus. Des fois je peste contre cette gauche. Historiquement elle a toujours été multiple. Mais quand elle est multiple à cause d’ego démesurés de certaines personnes, c’est ce que je hais le plus.
Quelles sont les valeurs qui vous tiennent à cœur et que vous défendez à travers votre engagement ?
Les valeurs qui me tiennent le plus à cœur sont doubles. Il y a évidemment la justice sociale. C’est-à-dire que je ne me retrouvais absolument pas dans la métropole que défendait Gérard Collomb, plutôt le Gérard Collomb du dernier mandat, qui était une métropole de l’attractivité, de l’accumulation de richesses pour quelques-uns et de l’hyper centralisation. Ma priorité est évidemment celles et ceux qui sont dans une forme de précarité, au sens le plus large du terme. Il y a à côté de cela la proximité. Je crois que la force de notre métropole est une métropole de quartiers. L’idée que dans nos quartiers on va réussir à construire des pôles économiques et qu’on va mettre de l’animation.
Ce qui fait le lien entre les deux est que je crois qu’on a changé de monde. Parce qu’on a tous été sensibles à cette idée qu’on avait eu de la chance d’être dans une métropole qui était riche et que finalement ce qui était le plus important était de faire venir tel ou tel siège social pour qu’il y ait une activité et qu’on lutte contre le chômage. Je suis certain que c’était la bonne politique au bon moment. Et de fait, notre territoire a mieux résisté à certaines situations économiques difficiles. Mais aujourd’hui on n’est plus là. Ce qui fera qu’on choisira d’aller habiter dans la métropole de Lyon ou qu’on choisira d’y développer son activité est le bien-être, le fait qu’on puisse se loger, que ses salariés puissent se loger, qu’on puisse avoir à proximité une station de tramway ou de métro, qu’on puisse avoir à 10-15 min un espace vert, d’avoir pour nos jeunes les plus précaires un RSA jeunes, etc. Nous sommes probablement passés à un nouvel âge des métropoles où leur force sera l’amélioration du bien commun et du quotidien pour toutes et tous. Ce discours-là n’est pas anti-économie. Il offre justement à dire que si vous vous installez à Lyon, vos salariés auront telle ou telle condition de travail. Ma finalité première est l’amélioration du bien-être et du quotidien des habitantes et des habitants.
Vous êtes toujours directeur de Sciences Po Lyon. Pourquoi cette volonté de garder un pied dans la société civile et un lien avec les jeunes générations ?
J’ai une profession et j’y tiens particulièrement parce que j’aime mon métier. J’ai été élu pour un mandat de cinq ans à la tête de Sciences Po et je m’étais engagé, lorsque j’avais été élu, d’aller jusqu’au bout de mes responsabilités.
Être au contact des plus jeunes générations est mon métier, en tant que directeur et en tant qu’enseignant-chercheur. Et quelle que soit la suite pour moi dans l’établissement en termes de responsabilités, je resterai un enseignant-chercheur. Je pense que la politique n’est pas un métier. C’est un mandat très prenant. Il faut néanmoins garder l’idée que cela a un terme, qu’il y a autre chose dans la vie. Cela me semble extrêmement sain de garder le plus longtemps possible une activité professionnelle.
Comment percevez-vous la relation entre les jeunes et la politique à l’heure actuelle ?
De manière globale, c’est ce qui m’inquiète le plus. Il est vrai que j’ai été frappé par la capacité d’Europe-Ecologie-Les Verts [EELV, ndlr] à rouvrir un dialogue avec une partie de la jeunesse et cela est important. Mais je vois bien tout le discrédit qui est porté par une partie de la jeunesse à la politique, au sens des institutions. Je sens même chez mes étudiants qu’il y a l’idée d’une perte de confiance dans les institutions, et peut-être, quand vous allez au bout du raisonnement, de l’Etat de droit. Et là je suis très inquiet.
J’ai à la fois un côté optimiste, de ce qu’a réussi EELV parce que nous, la Gauche Unie, y sommes moins arrivés. Cela doit être une alerte. La gauche et les écologistes doivent ouvrir un dialogue, mobiliser la jeunesse, la promouvoir, en faire une priorité mais surtout la mettre aux responsabilités. La conscientisation de la jeunesse sur les grands enjeux de transition écologique et de justice sociale, même si ce n’est pas l’élément qui apparaît le plus en avant, va plutôt dans le bon sens.
Mais à côté de cela, il y a cette défiance, cette circulation des « fake news » et cet usage de ce nouvel espace public qui ne dit pas son nom que sont les réseaux sociaux et là tous les propos sont possibles alors qu’ils sont publics. On peut mettre une personne au piloris en trois tweets, en 30 secondes. Cela est plutôt porté par la jeunesse quand même. Tout cela me rend très inquiet. C’est-à-dire que ces nouveaux outils assez peu appropriés m’inquiètent dans le sens où je vois bien qu’on a un rapport à la politique, à la chose publique qui est en train d’évoluer et dont je ne vois pas encore tout à fait l’issue. J’ai un vrai motif d’inquiétude sur cette capacité à être informé, à mettre à distance, même chez les plus diplômés, qui pourrait donner lieu demain à des comportements politiques soit d’« exit » complet, et là tout est possible, soit de populisme complet, et là aussi tout est possible. J’ai aussi bien à l’esprit cette face sombre. C’est l’un de mes grands motifs d’inquiétude sur l’état de notre démocratie aujourd’hui. Et tout n’est pas dans les mains du politique. Dans le premier volet, c’est aux forces politiques de toujours penser à la jeunesse, de toujours s’appuyer sur elle, de toujours aller la chercher. Mais il y a aussi des choses qui nous échappent.
Je perçois parmi mes étudiants des formes de mobilisation que je ne connaissais pas, des formes de revendication qui me surprennent, un rapport aux institutions qui m’étonne. Je ne sais pas si c’est majoritaire, mais je le perçois. Je me dis que si c’est à Sciences Po, c’est ailleurs, c’est aussi dans des espaces qui ne sont pas des espaces de l’enseignement supérieur parce que les étudiants ne sont pas toute la jeunesse. Collectivement, nous avons un rôle très important à jouer sur l’éducation aux médias dans l’école et notamment au collège.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite s’engager en politique ?
Je dirais qu’il n’y a pas plus beau mot d’ordre, plus belle cause que de vouloir changer le monde. Que ce soit dans le tissu associatif, que ce soit dans son entreprise, dans son administration, dans son établissement, en politique. Le fait de porter un projet qui change, en lien avec les inspirations des uns et des autres, c’est cela la politique. Et la politique est celle que l’on peut faire dans sa montée d’immeuble, dans son entreprise ou au moment des élections. Et je ne vois pas grand-chose de différent. J’ai beaucoup insisté sur le fait que j’avais attendu longtemps pour m’engager. Mais d’une certaine manière, ce que j’ai fait à Sciences Po Lyon, ce que j’ai fait lorsque j’étais dans des associations et ce que je fais là, je n’y vois que de la continuité. C’est-à-dire qu’avant tout, le moteur est de pouvoir porter un projet qui rejoint des revendications d’autres personnes et de le faire avec les autres. J’ai envie de dire aux jeunes femmes et aux jeunes hommes que je vous garantis que la plus grande satisfaction de ma vie, la valorisation de soi la plus importante, est celle de cette action qui permet de porter un projet qui rejoint les aspirations d’un plus grand nombre. Et encore une fois, cela peut se situer à plein de niveaux.
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