À la rencontre de… Raphaël Debû
Responsable départemental du Parti communiste français (PCF) dans le Rhône, élu au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes et au conseil de la Métropole de Lyon
Pouvez-vous vous présenter ?
Raphaël Debû, j’ai 39 ans. Je suis arrivé à Lyon il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, je venais de Grenoble. Je suis devenu le responsable départemental [du Parti communiste, NDLR] il y a cinq ou six ans. Élu au conseil régional [d’Auvergne-Rhône-Alpes, NDLR] pour commencer. Et aux dernières élections, j’étais candidat aux élections métropolitaines et j’ai été élu pour la circonscription Lyon Ouest, donc les 5e et 9e arrondissements.
A quel âge vous êtes-vous engagé en politique, et pourquoi ?
Je viens d’une famille qui est de culture communiste. Mes grands-parents étaient communistes. J’ai baigné dans cet environnement politique, mais je n’avais pas particulièrement d’engagement politique quand j’étais étudiant ou quand j’étais vraiment plus jeune. J’ai commencé par m’engager au « Syndicat », à la CGT.
Crédit photo : Laure Abouaf
C’est via la socialisation syndicale que je me suis rendu compte que le syndicalisme n’était qu’une des dimensions de la bataille politique et qu’il fallait la prolongation politique, au sens d’investissement dans la cité, pour compléter celle qu’il y avait dans l’entreprise.
Je me suis engagé au Parti communiste juste après mes études d’histoire-géographie. C’est quand j’ai commencé à travailler, un peu comme tout le monde avec tout un tas de petits boulots alimentaires. Au-delà de la théorie, j’ai pu avoir la confrontation réelle avec le monde du travail et son côté très redondant, ou en tout cas des tâches qui ne sont pas extrêmement excitantes. Je travaillais dans des entrepôts, des plateformes d’appels téléphoniques. Ce sont quand même des boulots extrêmement répétitifs, où l’on ne fait pas beaucoup appel à la capacité de réflexion et où cela n’évolue jamais. Cela m’a poussé dans un premier temps à courir tout de suite au « Syndicat », et puis très vite à me dire que cet engagement n’était pas suffisant, qu’il n’allait pas suffisamment loin parce que cela ne sortait pas de l’entreprise.
Dans les premières années, j’étais un adhérent du Parti communiste. Mais j’avais plus une activité syndicale, parce que j’étais délégué syndical. J’allais donner un coup de main au moment des élections mais il est vrai que je suivais beaucoup plus l’activité syndicale. C’était ma préoccupation principale. Évidemment, on nourrit aussi sa réflexion syndicale avec une réflexion politique, parce qu’au début on s’occupe principalement de ce qu’il se passe dans son entreprise et puis après on commence à regarder ce qu’il se passe dans les entreprises d’à côté. Et puis on élargit l’horizon. Le parti politique participe de cela, de pouvoir discuter de plein de sujets, y compris d’activités dont on ne connaît rien, voire même des autres aspects sur l’école, la santé, la vieillesse, qui ne sont pas forcément des choses qu’on voit à travers le syndicat.
Quand je suis rentré dans la collectivité régionale, là pour le coup la dimension politique a été beaucoup plus forte. Mes conditions de travail ou celles de mes collègues n’étaient plus forcément la première chose que je voyais parce que comme je travaillais pour un élu communiste, mon travail était de traduire la commande politique en commande administrative, j’avais les deux aspects de la question. Là, la question politique est devenue de plus en plus importante. Je voyais toute la complexité qu’il y avait à répondre à des questions. A priori, cela a l’air simple, et puis après il faut trouver les outils, que ce soit acceptable pour les populations, qu’on trouve l’équilibre politique entre différentes formations. On se rend compte que les réponses peuvent être simples, mais ne sont jamais simplistes.
Pourquoi avoir choisi de vous engager au Parti communiste français (PCF) ?
Assez naturellement je suis allé vers le Parti communiste parce que je savais déjà que c’était des idées que je partageais. J’ai fait des études d’histoire-géographie en plus, donc j’ai eu largement l’occasion d’étudier Marx, etc. Je voyais bien que cela correspondait à ma vision de la société. Et puis c’est la culture politique dans laquelle j’ai baigné. Ma famille, de manière générale, vote pour le Parti communiste. C’était vraiment la culture dans laquelle j’ai été élevé : d’avoir une approche assez marxiste de l’économie. J’avais très tôt cette conviction que c’était bien à travers le travail que se créait la richesse et donc qu’il n’était pas forcément juste que ce soit un actionnaire, un détenteur uniquement des outils, qui récolte le plus gros du fruit du travail et que les travailleurs eux-mêmes n’en récoltent pas grand-chose, voire même qu’ils soient la barrière d’ajustement, qu’ils soient exploités. Je pense qu’étant de la génération née dans les années 1980, donc plongée directement dans la crise, on a vu la dégradation des rapports sociaux, la stagnation des salaires, la destruction des emplois industriels, les fermetures de sites, les grèves, etc. Très jeune, je m’intéressais à ces questions-là. Je lisais le journal quand j’avais 11 ans parce que cela m’intéressait. Donc j’étais quand même assez éveillé à ces questions-là. Et le fait d’être dans une famille qui était politisée n’a fait que renforcer cette curiosité, ce besoin de comprendre comment fonctionnait un peu la société dans laquelle j’étais.
Vous êtes secrétaire départemental du PCF Rhône et conseiller métropolitain et régional, en quoi consistent exactement vos missions et quels sont vos projets ?
J’en ai trois qui sont assez différentes, paradoxalement.
En tant que secrétaire départemental, ma mission principale est de mettre en cohérence et en mouvement l’ensemble des communistes du Rhône. On a tous la même tendance, celle de s’occuper de ce qu’on a immédiatement sous les yeux ou alors de s’occuper des grandes questions nationales. Donc soit des choses ultra locales, soit des grands plans très généraux. La complexité du monde réel fait qu’à un moment il faut trouver des niveaux intermédiaires. L’idée est de trouver le sujet sur lequel on peut tous se mettre d’accord et le porter ensemble pour que cela ait plus de poids. Parce que si l’on parle tous d’un sujet différent, à un moment c’est inaudible.
En tant que conseiller régional, mon travail est d’être un élu de l’opposition. C’est-à-dire de ne pas laisser la parole uniquement à Laurent Wauquiez et à la droite. Mais aussi de venir porter la contradiction lorsqu’il nous assène des espèces de contre-vérités ou des choses qu’on pense fausses ou en tout cas qui ne servent pas l’intérêt commun. On vient lui porter la contradiction. Mais, de fait, étant dans l’opposition, on a très peu d’impact sur des réalisations.
Et en étant un conseiller métropolitain dans la majorité, au contraire je participe aux réalisations. En six mois à la Métropole, j’ai réalisé plus de choses qu’en six ans d’opposition à la Région, et c’est normal.
Ces trois fonctions sont très complémentaires et prennent pas mal de temps.
Quelles sont les valeurs qui vous tiennent à cœur et que vous défendez à travers votre engagement ?
Je pense que le principe premier est l’égalité. Le principe premier d’un communiste, de la gauche est l’égalité, à tous les niveaux. Cela veut dire qu’il faut lutter contre les trois formes de domination qui s’exercent dans la société. Une domination par le capital, par la fortune, qui est ce qu’on appelle la lutte des classes si on veut utiliser des mots un peu révolutionnaires. C’est d’abolir cette domination du riche, de celui qui possède les moyens de production par rapport à ceux qui ont la force de travail. C’est de réduire la domination patriarcale. Et donc c’est la lutte pour l’égalité femmes-hommes. Et puis c’est de réduire les dominations racialistes. Donc c’est la lutte contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme. Cela définit pour moi l’égalité. Cela est le principe et ensuite, il y a les différentes formes par lesquelles on va combattre. La lutte des classes est une des formes de combat, mais c’est-à-dire renverser le rapport de force entre celui qui possède l’outil et celui qui l’utilise et qui crée la richesse. Sur l’égalité femmes-hommes, ce sont des principes d’égalité salariale, de lutte contre les discriminations, de reconnaissance du sexe dit faible, de lui redonner sa place dans la société.
C’est la laïcité par exemple, qui est un principe très important parce que c’est un outil qui permet de traiter de la même manière tous les citoyens, quelle que soit leur origine, quelles que soient leurs convictions politiques ou philosophiques.
Je pense qu’il faut être présent dans les institutions. C’est important parce que cela donne des moyens d’action, notamment quand il s’agit d’égalité d’accès au droit par exemple. Ou lorsqu’on aménage un territoire, qu’on pense la réhabilitation d’un quartier, c’est le moment où l’on peut mettre en œuvre des principes d’égalité parce que cela veut dire qu’on va mettre l’école là où il y en a vraiment besoin. On va penser des lignes de transport pour que des salariés qui ont des faibles revenus, pour lesquels la voiture coûte très cher, puissent bénéficier de la meilleure desserte possible pour qu’ils puissent facilement se déplacer, trouver du travail et travailler.
Mais la politique est aussi un combat citoyen. Je ne pense pas qu’on milite politiquement en étant seulement élu. Il faut qu’il y ait un mouvement citoyen, des mouvements syndicaux. Le politique n’est pas tout puissant, parce que sinon on a un phénomène de délégation où le citoyen délègue aux élus la responsabilité de tout et ne s’occupe plus de rien. Il y a une tension qui existe entre soit « tous pourris » soit « tout-puissants » alors qu’il faut aller chercher le juste milieu. Surtout, c’est de pouvoir impliquer les citoyens dans l’élaboration des solutions tout en rappelant à un moment que l’élu a été aussi délégué pour conduire ce travail-là. Il ne faut pas qu’il le conduise seul, mais il ne faut pas que le type de l’association pense que c’est lui qui va diriger. Donc c’est toujours un équilibre assez intéressant à essayer de trouver. Cela nous oblige aussi à toujours se souvenir que l’élu est un citoyen. Je rappelle assez souvent à mes interlocuteurs que si les choses ne bougent pas, c’est aussi peut-être parce qu’ils ne se bougent pas non plus. Et qu’il y a besoin des deux.
Comment percevez-vous la relation entre les jeunes et la politique à l’heure actuelle ?
Chaque génération remet un peu en cause ce que la génération précédente a fait. Ce qui est sain parce que c’est comme cela qu’on avance. Je pense que l’appréciation du temps n’est pas la même entre des gens qui ont 20 ans, 40 ans, 60 ans. On note quand même une dépolitisation assez importante des plus jeunes générations. Cela marche pour la mienne. La génération de mes parents était beaucoup plus politisée que la mienne. Et la génération de mes grands-parents était beaucoup plus politisée que la génération de mes parents. J’ai l’impression que la jeune génération qui arrive est quand même très dépolitisée. Sauf sur certains sujets, mais qu’elle ne rattache pas forcément à une pensée plus globale. C’est-à-dire que clairement la sensibilité à l’environnement est assez forte chez les jeunes, beaucoup plus qu’elle ne l’est sur les générations précédentes. Mais ils n’arrivent pas à rattacher les réflexions sur l’environnement à des réflexions sur la manière dont on continue de faire tourner une société. Je ne veux pas jeter la pierre à la jeunesse, mais ce serait bien qu’elle se politise.
Ce que je trouve dommage, c’est qu’on a des jeunes qui sont éloignés de la chose, qui l’assument comme tel en disant que la politique ne les intéresse pas ou en disant d’emblée que c’est pourri parce que c’est un peu l’image qu’ils en ont, et qui ne sont pas curieux d’aller chercher une information plus élaborée. On voit comment les théories du complot fonctionnent énormément, notamment chez les jeunes, ce qui est un peu inquiétant. Une remise en cause de la science qui est un peu inquiétante, surtout pour des gens qui sont en formation. C’est dû probablement aussi à une individualisation de la société qui est un mouvement qui existe depuis la fin de la guerre. On vivait dans des cercles familiaux très larges ou alors on avait un sentiment d’appartenance à une classe. Ces choses-là se sont un peu fractionnées. On est allé chercher la singularité jusqu’à l’individualité la plus totale. Derrière, cela devient plus difficile d’imaginer construire des solutions collectives dans lesquelles « je » ne suis pas le centre du monde. Après, il y a des segments de la population chez les jeunes qui sont très conscients de ces problèmes-là. Mais je pense qu’ils sont relativement minoritaires.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite s’engager en politique ?
Je lui dirais évidemment de venir adhérer au Parti communiste français. Au-delà de la boutade, je pense qu’il y a plein de manières de s’investir dans la politique. Il y a des moyens assez simples et assez gratifiants. S’investir dans des associations comme le Secours populaire ou Emmaüs. Donner de son temps à la MJC [Maison des jeunes et de la culture, NDLR] ou à la CCAS [Centre communal d’action sociale, NDLR] de son quartier. Ce sont des manières de faire de la politique parce que ce sont des manières de créer du vivre-ensemble. On rencontre des gens, on échange, on construit, on découvre, c’est intéressant. Et puis cela permet de garder les deux pieds sur terre. Quand on a un peu cet environnement-là, cela devient effectivement intéressant d’adhérer à un parti politique parce qu’on peut venir confronter la pratique à du vécu, de l’expérience. C’est là que cela devient vraiment intéressant. Si on est purement dans un café philo, c’est très bien, on déborde de théories, mais cela va devenir au bout d’un moment frustrant parce qu’on n’agit jamais sur le terrain. Et en même temps, d’agir sur le terrain sans jamais le raccrocher à quelque chose de plus large, cela devient aussi au bout d’un moment frustrant. C’est bien d’essayer d’avoir ces deux aspects dans le travail qu’on effectue.