Jean Matthieu Thévenot co-owns an organic vegetable and seedling farm in France

Jean Delaunay

« Nous sommes les premiers touchés par le changement climatique » : pourquoi les agriculteurs ruraux européens soutiennent les politiques vertes

Les jeunes agriculteurs européens considèrent la grande agriculture comme « le véritable problème » du changement climatique.

« Les agriculteurs ne sont pas contre les écologistes, c’est même le contraire : nous voulons des standards écologiques vraiment élevés en Europe », explique à L’Observatoire de l’Europe Green Jean Matthieu Thévenot, agriculteur de 30 ans du Pays basque français.

« En tant qu’agriculteurs, nous sommes les premiers touchés par le changement climatique en raison des conditions météorologiques. Nous sommes également les premiers à être touchés par les pesticides : les agriculteurs meurent de cancer à cause de ces pesticides. »

En tant que représentant sur les questions climatiques pour la Coordination européenne Via Campesina (ECVC) – une confédération de syndicats représentant les petits agriculteurs – il travaille avec les gouvernements et les institutions pour renforcer les politiques environnementales tout en soutenant les producteurs.

Voici pourquoi il croit qu’un changement systémique est nécessaire pour réaliser cette vision.

Agriculteurs contre écologistes : « Manipulation » de l’agro-industrie ?

Au début de l’année, les agriculteurs européens ont fait la une des journaux lorsqu’ils sont descendus dans les rues des villes pour manifester. Mais leurs motivations sont restées obscures, explique Jean.

« Il y a eu une fausse opposition entre les écologistes des villes et les agriculteurs des campagnes », dit-il. « Nous pensons qu’il s’agit d’une manipulation – les grandes entreprises tentent de faire en sorte que les agriculteurs et les écologistes se battent ensemble alors que le véritable problème est l’industrie elle-même. »

Au lieu de manifester contre les politiques environnementales, les petits agriculteurs réclamaient un revenu équitable pour leurs produits, explique Jean. Dans la plupart des pays de l’UE, le revenu moyen des agriculteurs – subventions comprises – est environ la moitié de celui des autres citoyens, selon ECVC.

Mais Jean affirme que les lobbyistes du secteur agroalimentaire souhaitaient faire passer un message différent.

« Ils ont transformé ces demandes en : « Non, ce dont nous avons besoin c’est de moins de réglementation environnementale, car c’est la raison pour laquelle les agriculteurs ne peuvent pas gagner leur vie » », explique Jean.

Bien qu’il reconnaisse qu’il est impossible pour les agriculteurs européens de concurrencer les exportateurs internationaux qui ne sont pas soumis aux mêmes règles strictes, il affirme que l’abaissement des normes au même niveau n’est pas la solution.

« La solution est en fait d’interdire les importations qui ne respectent pas nos normes… et de fixer des prix minimums », explique Jean.

Pour les supermarchés, le changement climatique « n’est même pas en train de se produire »

Pour l’instant, les accords de libre-échange européens sont truqués au détriment des agriculteurs locaux, dont la production souffre des conditions climatiques extrêmes. Dans son activité de vendeur de plants de légumes, Jean constate l’impact direct du changement climatique sur les producteurs.

« Nous savons désormais que le changement climatique n’est plus quelque chose qui va se produire dans deux ans, mais quelque chose qui est déjà là », dit-il. Le principal problème est l’imprévisibilité.

Dans sa région, un printemps extrêmement humide et froid a repoussé la saison de plantation des tomates à l’été. Mais pour les supermarchés, tout se passe comme d’habitude.

« Nous luttons contre les supermarchés et toutes les grandes chaînes parce que, premièrement, nous pensons qu’ils sont responsables du changement climatique, car ils émettent beaucoup de CO2, et deuxièmement, ils ne respectent pas du tout les agriculteurs et ne se soucient même pas de la situation.

« Pour eux, je pense que le changement n’est même pas en marche. Il n’y a pas de tomates en France ? Ils les achètent au Maroc, à un prix vraiment bas. »

Les chariots élévateurs circulent entre les palettes de légumes et de fruits des grossistes pendant les heures d'ouverture du marché central de Berlin.
Les chariots élévateurs circulent entre les palettes de légumes et de fruits des grossistes pendant les heures d’ouverture du marché central de Berlin.

« La nourriture n’est pas une marchandise »

Dans le cadre de son travail avec ECVC, Jean plaide en faveur d’une politique d’intervention des gouvernements en matière de prix. Cela obligerait les supermarchés à acheter des produits importés au même prix que les produits locaux.

« Nous avons toujours dit que la nourriture n’est pas une marchandise. La nourriture est la base de la vie, elle ne devrait donc pas être incluse dans le système de l’Organisation mondiale du commerce ni dans aucun accord de libre-échange, car ce n’est pas une voiture, ce n’est pas un ordinateur. C’est quelque chose dont nous avons besoin pour vivre », explique Jean.

Cela profiterait également aux communautés à l’étranger.

« N’oublions jamais que l’objectif principal de l’agriculteur doit être local : il doit d’abord produire de la nourriture pour ses concitoyens, puis s’il lui en reste (un peu), il peut exporter », explique Jean. « Mais pour l’instant, on observe le contraire. Par exemple, dans certains pays africains, la production de cacao est principalement en concurrence avec l’agriculture de subsistance traditionnelle. »

Selon lui, le système actuel crée une concurrence entre les agriculteurs du monde entier : « et au final, ce sont les agriculteurs qui perdent, tandis que les entreprises transnationales gagnent. »

Jean travaille avec divers universitaires pour proposer un nouveau cadre commercial international « organisé de manière équitable, basé sur la solidarité et les valeurs humaines, et non sur le capitalisme ».

Qui paiera si les prix des denrées alimentaires sont réglementés ?

Une tarification réglementée aurait bien sûr un coût.

« Pour l’instant, ce sont les agriculteurs qui paient le prix du système : des revenus très faibles et des conditions environnementales très difficiles », explique Jean. Mais il souligne que ces coûts ne doivent pas être simplement répercutés sur le consommateur.

Au lieu de cela, les marges bénéficiaires maximales devraient être accordées aux grandes entreprises qui sont les plus responsables de la production de masse et des gaz à effet de serre qui l’accompagnent.

Les consommateurs ont toutefois un rôle à jouer dans leurs choix d’achat.

« Continuons à importer des tomates en hiver si les consommateurs (le souhaitent), mais à un prix très élevé pour que les gens se rendent compte que cela a un coût environnemental et social », explique Jean. « Ensuite, si vous voulez acheter des produits locaux qui n’ont pas ces impacts, le prix sera plus bas.

« Pour l’instant, c’est l’inverse, donc le produit le moins cher est celui qui a le plus d’impact… si on change,** les consommateurs pourront faire le bon choix. »

Bien que quelque peu controversée, une autre approche émerge dans certains petits territoires en France : le projet de Sécurité sociale de l’alimentation vise à rendre la vie plus équitable pour les agriculteurs et les consommateurs en fixant le prix des produits en fonction des revenus des clients.

« Donc, si vous gagnez beaucoup d’argent, vous payez plus, mais si vous gagnez très peu, vous pouvez prendre les légumes presque gratuitement », explique Jean.

Il affirme que c’est également un modèle gagnant pour les gouvernements.

« Nous avons fait les calculs et, grâce à une meilleure agriculture et à un meilleur système alimentaire, nous économiserions au final l’argent actuellement dépensé pour l’adaptation environnementale, l’atténuation du changement climatique et la santé publique. »

Jean Matthieu Thévenot produit et commercialise des légumes et plants biologiques au Pays Basque.
Jean Matthieu Thévenot produit et commercialise des légumes et plants biologiques au Pays Basque.

Quelle est la solution à la crise des agriculteurs européens ?

En plus de faire campagne pour la régulation des prix, l’ECVC se mobilise contre ce qu’elle appelle « les outils de greenwashing visant à cocher les cases de l’accord de Paris sans aucun résultat garanti ».

L’ECVC salue les éléments de la stratégie « De la ferme à la table » de l’UE, qui vise à construire des systèmes alimentaires durables. Elle estime toutefois que cette stratégie est en contradiction avec les politiques commerciales et de subventions et que son approche n’est pas toujours crédible.

Le groupe s’en prend particulièrement au Cadre de certification des éliminations de carbone de l’UE (CRCF), qu’il qualifie de « scientifiquement invalide » et de « dangereux pour les systèmes alimentaires ».

La réglementation encourage « l’agriculture du carbone », en offrant des subventions et des aides pour les pratiques agricoles qui favorisent la séquestration du carbone dans les forêts et les sols – une solution temporaire qui repose parfois sur une technologie coûteuse qui n’a pas fait ses preuves à grande échelle.

Elle soutient également les exploitations agricoles dans la vente de compensations carbone aux entreprises – une solution contreproductive qui crée une « fausse confiance », « retarde les actions réelles » sur les émissions et « profite surtout aux pollueurs », prévient le groupe de campagne Real Zero Europe.

L’ECVC prévient que ce système encourage l’accaparement des terres par des acteurs extérieurs, aggravant ainsi ce qui est actuellement le plus gros problème des jeunes agriculteurs européens, selon Jean : l’accès à des terres abordables.

Chaque règle du gouvernement vous pousse à grandir, à utiliser plus de pesticides, à vendre plus.

Jean Matthieu Thévenot

Fermier

Les ressources de la Commission seraient mieux concentrées sur des « réductions réelles, justes et immédiates », affirme Real Zero Europe, comme une transition juste vers les énergies renouvelables et les pratiques agricoles durables.

Cela pourrait inclure le soutien à l’agriculture biologique, à la rotation des cultures et à l’autonomie des exploitations, ce qui réduirait les importations à forte intensité de CO2 de produits comme les aliments pour animaux, suggère l’ECVC.

« Si vous êtes un agriculteur conventionnel, chaque subvention, chaque règle du gouvernement vous poussera à cultiver plus, à utiliser plus de pesticides, à vendre plus, à exporter, etc. Nous sommes donc poussés dans cette direction », explique Jean, dont la ferme d’un hectare est trop petite pour avoir droit à la plupart des subventions.

Plutôt que de favoriser l’agriculture industrielle, gourmande en énergie, les politiques devraient protéger les petits exploitants agricoles, dont les activités maintiennent des zones rurales dynamiques, préviennent la perte de biodiversité et ne nécessitent pas d’énormes quantités de combustibles fossiles ou de pesticides dangereux pour fonctionner.

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