Les industries européennes sont diverses, tout comme ses besoins énergétiques. Mais le fil conducteur qui les unit est le besoin de solutions énergétiques sécurisées, durables, fiables et rentables, écrit Julia Souder.
Depuis deux cents ans, l’industrie européenne dépend des combustibles fossiles.
Malgré les révolutions successives visant à passer à des sources d’énergie moins polluantes et à créer une industrie plus durable – du charbon au gaz, du gaz à l’énergie nucléaire et désormais aux énergies renouvelables – l’Europe reste dépendante de la combustion d’hydrocarbures pour sa croissance économique.
Le secteur industriel européen est responsable de 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même l’utilisation de sources d’énergie renouvelables – de l’éolien au solaire – n’est pas sans défis car leur nature intermittente n’est pas compatible avec les besoins de l’industrie.
Voilà les mauvaises nouvelles.
La bonne nouvelle est qu’il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi.
L’ambition est là, et ça se réalise
Le 6 février, la Commission européenne a recommandé à l’UE de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre de 90 % d’ici 2040, par rapport aux niveaux de 1990.
En annonçant cette nouvelle ambition, la Commission européenne a clairement indiqué que la décarbonisation des secteurs industriel et agricole doit être un objectif crucial de nos efforts pour créer une économie durable et compétitive à l’échelle mondiale en Europe.
Il s’agit d’une nouvelle ambition audacieuse pour le bloc, à laquelle correspondent les entreprises : 75 % des PDG européens mettent en œuvre des initiatives visant à réduire l’empreinte carbone de leur entreprise, selon la 27e enquête annuelle mondiale menée par PWC auprès des PDG.
Nous voyons des acteurs majeurs de l’industrie adopter une multitude de mesures pour réduire les émissions ; y compris l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’adoption de sources d’énergie renouvelables, l’augmentation de la disponibilité de carburants alternatifs et la réalisation d’évaluations du cycle de vie.
Malgré ces efforts, notre capacité à décarboner l’industrie a été freinée par la nature intermittente de l’énergie éolienne et solaire.
Cependant, une solution cruciale est apparue, capable d’accélérer le parcours de l’Europe vers le zéro émission nette et d’éliminer 65 % des émissions industrielles d’ici 2040.
Qu’est-ce que le stockage d’énergie de longue durée ?
Les technologies de stockage d’énergie de longue durée (LDES) peuvent réduire les émissions en stockant l’énergie renouvelable pendant des durées allant de plusieurs heures à plusieurs jours, semaines et même saisons, ce qui les rend idéales pour la décarbonisation industrielle.
Ils couvrent des solutions électrochimiques, mécaniques, thermiques et chimiques.
Ces technologies LDES sont éprouvées. Les entreprises les produisent aujourd’hui et l’industrie en a besoin dès maintenant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 90 % en 2040.
Le remplacement des combustibles fossiles par des énergies renouvelables et le LDES pourrait éliminer 8 milliards de tonnes d’émissions industrielles de CO2, selon les recherches menées par nos experts du Conseil LDES.
La pièce manquante – la pièce essentielle – est un régime réglementaire permettant leur viabilité économique pour aider ces technologies à évoluer et à conduire le changement.
Le stockage électrochimique, principalement sous forme de batteries, est l’une des formes de LDES les plus largement reconnues.
Ici, les technologies émergentes telles que les batteries à flux sont particulièrement adaptées au stockage de longue durée en raison de leur capacité à adapter indépendamment à la fois l’énergie (la quantité d’électricité stockée) et la puissance (le taux de décharge électrique).
En Europe, les entreprises de batteries à flux et les entreprises basées sur l’hydrogène exploitent ces technologies pour les centres de données et les applications d’alimentation de secours.
Ces centres de données représentent aujourd’hui environ 1,5 % de la consommation électrique de l’UE et pourraient atteindre 3,2 % de toute l’énergie consommée dans l’UE d’ici 2030.
Capter la production solaire et éolienne et associer cette énergie à un stockage d’énergie de longue durée garantit la disponibilité quotidienne d’une énergie propre pour ces grands consommateurs d’énergie.
Les opérations minières en bénéficieront-elles grandement ?
Si les centres de données constituent un cas de test pour les solutions LDES, l’exploitation minière et la production d’énergie hors réseau nous en offrent un autre.
Les solutions mécaniques qui stockent l’énergie sous forme d’énergie potentielle ou cinétique, et les solutions thermiques qui convertissent l’énergie renouvelable en chaleur, peuvent contribuer à réduire le profil d’émissions des grandes industries européennes comme la fabrication de produits chimiques et à répondre à la demande énergétique dans des segments renaissants comme l’exploitation minière.
Une cinquantaine de mines devraient ouvrir dans toute l’Europe d’ici 2030 pour fournir les minéraux essentiels nécessaires à certains aspects de la transition énergétique. À moins que ces opérations ne soient alimentées par des énergies renouvelables et soutenues par le LDES ou ne puissent fonctionner avec de la chaleur propre, la renaissance minière se traduira par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
LDES peut être d’une immense aide pour réduire les émissions et électrifier les opérations minières en déployant des solutions mécaniques, électrochimiques ou chimiques, et permettrait également aux entreprises qui les utilisent d’économiser de l’argent tout en fournissant une couverture de sécurité aux mines en fournissant des systèmes d’alimentation de secours en cas d’urgence.
Une étude de cas portant sur une mine en Australie a indiqué que les mines hors réseau pourraient économiser 76 % de leurs dépenses d’exploitation en passant aux énergies renouvelables et au LDES et réaliser une décarbonisation complète avec une économie de 609 $ par tonne de CO2 réduite.
Les industries chimiques et agroalimentaires – qui contribuent de manière significative aux émissions industrielles européennes – peuvent également bénéficier du LDES.
Les industries utilisent principalement de la chaleur à basse ou moyenne température, qui peut être facilement électrifiée. En Californie, un fabricant de chips a utilisé une solution LDES thermique 24 heures sur 24 associée à une chaudière électronique pour éliminer ses émissions de scope 1 et 2.
En exploitant une énergie renouvelable bon marché et en s’éloignant du gaz, les entreprises peuvent réduire leur exposition à la volatilité du marché du gaz pour produire des aliments moins chers et plus écologiques.
De même, dans une usine chimique allemande, combiner une chaudière électrique avec un LDES pour produire de la vapeur au lieu d’une chaudière au gaz naturel peut réduire de moitié le coût de l’électrification. Tout en éliminant les combustibles fossiles polluants qui entraînent des risques importants pour la qualité de l’air et de l’eau au niveau local et en maintenant la durée de vie opérationnelle des usines existantes.
Que peut faire d’autre LDES ?
Si le LDES peut décarboner ces applications électriques aujourd’hui, les possibilités pour demain sont vastes.
Les procédés thermiques industriels contribuent largement aux émissions de gaz à effet de serre. Leur décarbonisation est donc cruciale pour atteindre nos objectifs de zéro émission nette.
En Europe, environ 47 % de la demande de chaleur industrielle tombe en dessous du seuil de 500°C et est donc adaptée à l’électrification.
Les LDES thermiques, associés à des technologies complémentaires telles que les chaudières électroniques et les pompes à chaleur, peuvent permettre l’électrification du chauffage à basse et moyenne température (100°C à 500°C) au cours des 15 prochaines années.
L’acier et le ciment, pierres angulaires de la civilisation moderne, sont confrontés à une menace existentielle : leur dépendance aux combustibles fossiles pour des processus à haute température supérieure à 1 000°C les rend difficiles à électrifier et donc à décarboner.
Les technologies LDES actuelles peuvent contribuer à une décarbonisation limitée de l’acier et du ciment au cours des cinq prochaines années grâce à la récupération de la chaleur résiduelle et au préchauffage.
Cependant, leur potentiel de décarbonation est bien plus important au cours des dix prochaines années, à mesure que les coûts diminuent et que les barrières à l’intégration sont réduites. Cela pourrait à terme soutenir une décarbonation énergétique totale du ciment grâce à l’électrification des fours.
Bien que prometteuse, l’adoption du LDES thermique se heurte à des obstacles, principalement la nécessité de faire l’objet de R&D supplémentaires pour la technologie afin d’améliorer l’efficacité et de réduire les coûts. Malgré ces défis, le potentiel des LDES thermiques pour décarboner les industries de l’acier et du ciment est indéniable.
La recherche et le développement en cours, associés à des politiques de soutien, peuvent ouvrir la voie à une adoption plus large et ouvrir la voie à un avenir où les incendies industriels brûleront plus fort, mais plus proprement.
Un changement de politique avant-gardiste est essentiel
Le passage au LDES n’est pas sans défis. Cependant, la nouvelle recommandation de l’UE de réduire les émissions de 90 % d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 1990 pourrait être mise en péril si nous ne reconnaissons pas le rôle que le LDES peut jouer aujourd’hui pour conduire la décarbonation de l’industrie européenne.
Atteindre zéro émission nette nécessite une approche politique à plusieurs volets, fondée sur trois piliers clés : des signaux de marché à long terme, des mécanismes de revenus robustes et un soutien technologique dédié.
Le plus important est peut-être que les décideurs politiques fixent des mandats clairs en matière de stockage d’énergie, envoyant des signaux de marché positifs à long terme pour permettre la décarbonisation de l’industrie et bien plus encore.
Des mécanismes de revenus seront nécessaires pour démontrer la viabilité financière à long terme tant pour les clients que pour les investisseurs.
Enfin, les partenariats public-privé, les subventions et les investissements des gouvernements contribueront à accélérer considérablement le processus de R&D afin d’accélérer l’innovation et la livraison.
Ces politiques ne sont pas seulement des catalyseurs ; ils sont des catalyseurs de changement. Il est possible d’économiser jusqu’à 540 milliards de dollars (493,6 milliards d’euros) par an avec le LDES.
Les industries européennes sont diverses, tout comme ses besoins énergétiques. Mais le fil conducteur qui les unit est le besoin de solutions énergétiques sécurisées, durables, fiables et rentables.
Les technologies LDES ne sont pas seulement une option mais un impératif pour la décarbonation industrielle. Ils résolvent la question européenne de savoir comment faire évoluer l’industrie vers un avenir alimenté par les énergies renouvelables.
Mais les industries et les décideurs politiques doivent travailler en tandem pour concrétiser cette vision d’une Europe durable et prospère.