La Chine, la Russie et la Turquie sont toutes mentionnées comme des ingérences actives dans la politique et la société françaises, dans une évaluation qui trace une ligne entre les blocs mondiaux libres et autoritaires.
Les ingérences étrangères en France sont devenues une menace « protéiforme, omniprésente et durable », allant de l’espionnage à l’utilisation du cyberespace ou aux opérations de manipulation de l’information, avec la Russie et la Chine comme principaux acteurs, selon un rapport annuel de la délégation parlementaire française qui examine politique de renseignement du gouvernement.
« Les menaces d’ingérence étrangère atteignent un niveau élevé dans un contexte international tendu et déchaîné », affirment les auteurs du rapport.
Si les services de renseignement peuvent utiliser « divers moyens pour contrecarrer les ingérences étrangères », ces outils ne sont « pas suffisants à eux seuls sur le long terme », concluent-ils.
Les parlementaires ont proposé l’introduction d’une « législation ad hoc pour empêcher l’ingérence étrangère, basée sur le modèle de la loi américaine », et le recours au gel des avoirs pour ceux qui sont engagés dans des actions préjudiciables à l’unité nationale ou destinées à favoriser les intérêts d’une puissance étrangère.
Ils suggèrent également « une réponse européenne » et estiment que ces différentes mesures pourraient être regroupées « dans un projet de loi dédié à la lutte contre les ingérences étrangères ».
Un nouvel ordre mondial
La délégation souligne que cette menace a « pris une nouvelle dimension ces dernières années, en raison avant tout d’un « changement radical du contexte géopolitique ».
« Nous sommes passés brusquement d’un monde de compétition à un monde de confrontation, avec les régimes autoritaires d’un côté et les démocraties occidentales de l’autre », écrivent les auteurs du rapport.
Cette fracture entre l’Occident et le reste du monde est, disent-ils, « le trait dominant de la période actuelle ».
A cela s’ajoutent la révolution numérique, avec le cyberespace « devenant un terrain privilégié d’affrontement et de compétition entre États », et les politiques d’influence et d’espionnage qui constituent des « menaces hybrides ».
La délégation pointe du doigt « les campagnes de manipulation de l’information à grande échelle », une « nouvelle forme d’ingérence étrangère » qui, selon elle, a pris « des proportions sans précédent ».
Les auteurs du rapport insistent sur le fait que « les fausses nouvelles sont l’arme d’une guerre menée contre l’Occident ».
Ils citent l’élection présidentielle américaine de 2016 et le référendum britannique sur le Brexit, qui, selon eux, ont tous deux fait « l’objet de campagnes d’interférence numérique étrangères sur les réseaux sociaux et les médias ». Sur le front français, ils pointent du doigt l’affaire des « Macron Leaks » qui a précédé le second tour de l’élection présidentielle de 2017.
Les trois grands
Les auteurs citent la Russie comme un acteur majeur et décrivent sa « signature » et son mode opératoire.
Il s’agit notamment de l’infiltration, de la nomination d’anciens dirigeants européens comme l’ancien Premier ministre François Fillon et de l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder aux conseils d’administration de grands groupes russes, ou encore de manipulation de l’information.
Sur ce dernier point, la délégation note que la fermeture par la France en 2017 des médias soutenus par le Kremlin, Russia Today et Spoutnik, a « réduit la portée de la guerre de l’information de la Russie ».
La Chine, autre acteur actif, dispose d’un « front unique », d’une « stratégie politique et d’un réseau d’institutions publiques et privées et d’individus clés sous le contrôle du Parti communiste chinois ».
La diaspora chinoise en France, qui compte quelque 600 000 personnes, joue également un rôle important.
La Turquie souhaite également intervenir, selon la délégation, dans le but de « contrôler la diaspora turque comme relais des idées du gouvernement d’Ankara, c’est-à-dire hostile aux Kurdes et aux Arméniens ».
Le rapport met également en avant la « pratique religieuse » comme un « puissant levier de promotion d’une idéologie politique », avec des acteurs étrangers finançant des lieux de culte en France et le détachement d’imams auprès des mosquées françaises qui ont « permis à la Turquie d’influencer l’islam en France ».
Un autre modus operandi turc, selon la délégation, est « l’entrisme politique à travers la participation aux élections locales et nationales » et une présence active sur les réseaux sociaux pour diffuser des messages hostiles à la législation.
La délégation déplore la « naïveté » des élus, hauts fonctionnaires, entreprises et universitaires face aux ingérences étrangères.
Lors de son audition en février, le directeur général de la sécurité intérieure, Nicolas Lerner, avait mis en garde députés et sénateurs contre les tentatives d’approche d’agents de renseignement étrangers, notamment russes sous couverture diplomatique, pour des opérations d’espionnage ou d’ingérence.